Supposons qu’une société industrielle ou commerciale crée de la valeur année après année en vendant des biens ou des services que le public achète librement. Les parts de cette société (les actions) auront une valeur qui sera théoriquement égale à la somme actualisée des profits ou des dividendes que cette société va générer dans le futur. Cela suppose que les acheteurs ou les vendeurs de ces parts vont essayer d’estimer au mieux cette valeur ce qui suppose que nos investisseurs vont devoir faire des hypothèses et sur les bénéfices (futurs) de cette société et sur ses marges et sur les taux d’intérêts qu’il va falloir appliquer pour calculer la valeur actuelle de ces flux futures.
Inutile de dire que tout le monde va se tromper sans arrêt, un peu comme une troupe d’aveugles qui essaient de décrire un éléphant en le touchant. Certains décriront la trompe, d’autres les oreilles, d’autres les pieds ou la queue… les marchés financiers tâtonnent donc sans arrêt. Mais dans l’ensemble et si on se place sur le long terme, les bonnes sociétés ont une valeur toujours supérieure aux mauvaises, ce qui garantit que le capital va aller de préférence vers ceux qui l’utilisent bien plutôt que vers ceux qui l’utilisent mal.
Je conçois que cette méthode apparaisse peu satisfaisante aux lecteurs mais elle est très supérieure à la technocratie où le monsieur qui sait tout parce qu’il est sorti premier de l’École Nationale des Premiers de la Classe choisit pour nous des investissements qui vont décider de notre avenir, et ce pour deux raisons :
- La première, c’est que s’il se trompe, il pourra continuer à faire des dégâts en s’appuyant sur la force publique (l’État) en augmentant nos impôts pour financer, à perte, ces activités « stratégiques » dont personne ne veut, ce qui fera baisser la somme du capital disponible dans le pays et fera donc baisser inéluctablement le niveau de vie général.
- La seconde parce que ce processus itératif permet de sélectionner ceux parmi nous qui sont doués pour acheter ou vendre bien et que donc le capital se retrouve dans des mains compétentes à la place d’être monopolisé par des irresponsables surdiplômés (voir Des Lions menés par des ânes). Dans ce schéma, le capital ira à ceux qui le traitent bien, exactement comme dans la parabole des talents (voir Un libéral nomme Jésus ou plus simplement la Bible).
La première façon de gérer son argent est donc de suivre les sociétés cotées une par une et de n’investir que dans celles qui respectent le capital qui leur est confié par les actionnaires. C’est ce que l’analyse financière s’attache à faire.
Un observateur attentif des marchés financiers ne peut pas ne pas remarquer cependant qu’il existe des grandes « vagues » de création de valeur dans le système capitaliste et qu’il est bon de les repérer si « on veut gagner de l’argent sans travailler » (définition de la finance par ma secrétaire il y a quelques années). Pour bien comprendre ces vagues de fond, il est bon de revenir aux deux grands économistes qui ont le mieux analysé ce processus de création de la richesse, je veux parler de Ricardo et de Schumpeter.
(Dessin de presse : René Le Honzec)
Pour Ricardo, la création de valeur est la conséquence d’une meilleure utilisation des trois facteurs de production que sont le capital, le travail et la terre à l’échelle d’un pays ou du monde. La croissance chinoise des 20 dernières années est une croissance purement ricardienne. Pour Schumpeter par contre, la création de valeur est la conséquence d’une invention de rupture qui change les règles du jeu (par exemple, Internet) et permet à sa « création destructrice » d’avoir lieu.
La croissance ricardienne est finie par nature. Une fois que les routes ou les ponts ou les logements ont été bâtis, elle s’arrête. Bien souvent, de plus, elle se heurte à ce que l’on pourrait appeler la « contrainte malthusienne », les matières premières venant à manquer. La croissance schumpetérienne ne dépendant que de la capacité de l’esprit humain à inventer est infinie et ne dépend donc pas des matières premières. En fait, les inventions ont en général lieu pour briser la contrainte malthusienne (pétrole remplaçant le charbon, etc.)
Pour des raisons qui m’échappent, ces « vagues de création de valeur » ont une durée décennale (Juglar ?). De 1950 a 1960, nous avons eu une croissance ricardienne, reconstruction de l’Europe et du Japon, commerce international, communauté européenne. De 1960 a 1970, une grande vague schumpetérienne : pharmacie, IBM, Control Data, Hewlett-Packard, débarquement sur la lune… De 1970 a 1980, une horrible décennie malthusienne et inflationniste, avec or, argent, pétrole montant sans relâche et j’en passe. De 1980 a 1990, à nouveau, une grande période ricardienne : Acte unique européen, réunification allemande, émergence des tigres asiatiques. De 1990 à 2000, la grande période schumpetérienne par excellence se terminant par la bulle Internet. De 2000 à aujourd’hui, une croissance ricardienne en Asie centrée sur la Chine, avec de forts relents de contrainte malthusienne (pétrole, etc.)
Si cette périodicité décennale se maintient, on peut dire sans crainte que le temps est venu de rentrer à nouveau dans une période schumpetérienne, centrée autour de la biologie, de l’électricité, des communications, Internet et de nouvelles inventions que je suis bien incapable d’imaginer.
Si tel est le cas, cela a des implications gigantesques pour la politique de placement. Vendez vos valeurs malthusiennes, gardez vos valeurs ricardiennes et achetez beaucoup, beaucoup de matière grise cotée en bourse. C’est la seule matière première qui ne s’épuisera jamais. Tel est mon conseil pour les 10 ans qui viennent a ceux qui veulent « gagner de l’argent sans travailler ».