La France est décidément le paradis des lobbys et des gens arc-boutés sur des business-models antédiluviens. Et comme la République Festive Et Citoyenne distribue des petits bisous réconfortants à ceux à qui la vie fait des bobos, pas étonnant qu’ils se multiplient devant ces encouragements à ne surtout pas se remettre en question. Dernier exemple en date, avec ce petit parfum de déjà-lu, déjà-vu, déjà-entendu : les photographes.
Avec l’avènement d’Internet et l’entrée massive du numérique dans la vie de tout le monde, il fallait s’attendre au changement relativement profond d’un certain nombre de professions spécialisées dans le traitement de certains types d’information sous forme analogique.
Le caractère disruptif des nouvelles technologies de l’information est si important qu’effectivement, des pans entiers de la société telle qu’on la connaissait depuis des dizaines d’années sont en train de disparaître ou d’évoluer dans des proportions que personne n’aurait pu imaginer il y a seulement trente ans.
Comme je l’ai déjà évoqué dans des précédents billets, les métiers de journaliste, cinéaste et tout ce qui s’y rapporte, musicien, imprimeur, distributeur et éditeur, photographe, bibliothécaire, et des douzaines d’autres à commencer par politicien, sont destinés à profondément changer dans le cours des années à venir. En effet, ce qui, auparavant, nécessitait un investissement et une formation importante est maintenant de plus en plus simples à acquérir.
Dès lors qu’une production peut être créée, distribuée, accédée ou consommée de façon numérique, les métiers qui soutiennent chacun des aspects depuis sa création jusqu’à sa consommation finale doivent faire face à la révolution numérique.
Mais en France, heureusement, on s’est bien gardé d’y préparer les gens. Grâce à une habitude maintenant fortement ancrée dans le mode de réflexion français, dès qu’une profession se sent menacée par de tels changements, elle va vite chercher refuge dans une loi ou dans l’agitation de l’opinion publique (qui n’est, finalement, que l’opinion publiée) pour favoriser telle ou telle aide, telle ou telle barrière à l’entrée, telle ou telle pose de clôture afin de faire durer le plaisir un peu plus longtemps.
La HADOPI est l’illustration typique de ce genre de comportement auquel, bien évidemment, la classe politique n’échappe pas : créée pour s’assurer que Pascal Nègre pourra continuer à se payer des costards ridicules de maquereau albanais, elle montre de façon éclatante qu’on a clairement choisi de stériliser toute créativité dans le domaine des ayants-droits, qu’on a choisi de tout faire pour conserver le business-model des majors musicales plutôt que les laisser s’adapter, petit à petit, à la nouvelle culture numérique.
Si rien n’avait été fait, ces majors se seraient rapidement mises d’accord pour proposer d’imposants catalogues numérisés à des prix compétitifs qu’ils n’auraient eu aucun mal à écouler : il n’est qu’à voir les sommes payées par des pirates pour accéder à Megaupload et ses confrères pour comprendre qu’il existe, réellement, des gisements inexploités de personnes prêtes à payer pour du contenu numérique légal de bonne qualité.
De la même façon, j’avais déjà parlé des photographes à l’occasion de pleurnicheries agaçantes sur leur sort : les vilains pirates et les fourbes internautes en voulaient méchamment à leur profession ! Il n’aurait plus manqué que le gang d’Anonymous pour mettre fin à leur source de revenus !
Eh bien nos amis remettent les couverts, et cette fois-ci en rouspétant auprès de la HADOPI, ce qui est du plus haut comique : cette dernière tente, après des mois d’attente et d’hésitation, de mettre en place des labels qui assurent à l’internaute que ce qu’il récolte en ligne est « HADOPI-compatible », autrement dit, respecte les règles de la propriété intellectuelle.
Or, en matière de photographies, Fotolia, candidat au fameux label, propose des conditions que ces photographes, ébouriffés, trouvent évidemment scandaleuses : l’internaute peut piocher dans une banque d’image de plusieurs milliers de clichés et récupérer celui qu’il veut pour 0.14€, avec liberté d’en faire ce qu’il veut pour le temps qu’il veut.
Et ça ne loupe pas : les photographes professionnels estiment qu’en « proposant une offre pour quelques centimes d’euros, Fotolia viole également l’article 1591 du code civil qui sanctionne l’absence de prix réel et sérieux« .
Ouin, snif, c’est vraiment kropinjuste : Fotolia vend trop peu cher ! On est, ici, exactement dans le même cas de figure que les taxis d’Avignon insupportés par les offres à prix plancher d’un concurrent malin, Easy Take, gros salaud de capitaliste qui offrait des courses à prix cassés.
On est, littéralement, dans le cas trivial des pétitions de fabricants de Chandelle (pétition chère à Bastiat) et autres bougies parfumées d’importation chinoise que certains petits malins s’échinent donc à rendre notoirement plus chères.
La France est malade de son corporatisme ; les photographes ne sont pas différents des autres. Ni meilleurs ni pires, ils ont été habitués à l’omniprésence de l’Etat et à l’illusion de protection qu’il pourrait offrir. En réclamant, toujours au motif de « la survie de tout un secteur économique et culturel« , ces fabricants de chandelles refusent obstinément l’ampoule électrique.
La société, surtout actuellement, peut-elle se passer de faire des économies ? Peut-elle se passer d’obtenir moins cher ce qui avant était coûteux ? Doit-elle feindre de croire sauver les emplois de quelques uns en diminuant le pouvoir d’achat de tous ?
Doit-elle se contenter de bougies pour faire plaisir aux fabricants quand le reste du monde se dote d’ampoules ?