Décidément, Ahmed Ben Bella n’en finit pas de «surprendre» dans le sens le plus contestable du terme. L’ex-président algérien a sévi encore en déversant son fiel, voire sa haine envers des figures emblématiques de la lutte de Libération nationale.
Boudiaf, Aït Ahmed et Abane Ramdane en particulier. Ben Bella, 94 ans, s’est longuement livré à une périlleuse réécriture de l’histoire de la guerre de Libération, à l’occasion d’une «soirée à bâtons rompus» avec un journaliste de l’hebdomadaire français Jeune Afrique, qui en a publié le contenu dans son édition du 8 au 14 mai 2011. Sans aucun scrupule, l’ancien président, renversé le 19 juin 1965 par un coup d’Etat militaire fomenté par le colonel Boumediène, s’est attribué toute la gloire de la Révolution et de l’indépendance de l’Algérie. «Le 1er Novembre, c’est moi», décrète-t-il. Hallucinant. Aucun écrit de l’histoire ne mentionne son prétendu rôle central dans le déclenchement de la guerre. Quand l’envoyé spécial de Jeune Afrique lui demande de quoi il est le plus fier de son parcours, il répond : «La poste d’Oran où j’ai volé de l’argent. C’est l’OS qui a servi à faire le 1er Novembre.» A ce sujet, Ben Bella persiste dans ses fanfaronnades en s’attribuant le rôle central dans l’attentat contre la poste d’Oran, en 1949. «Même si je respecte Aït Ahmed, bien qu’il ait été souvent beaucoup plus Kabyle qu’Algérien, l’organisation principale du coup, jusqu’au moindre détail, c’est moi», a-t-il déclaré. Une contrevérité historique. Tous les historiens les plus crédibles, Algériens et Français, attestent que l’attaque de la poste d’Oran a été organisée par Hocine Aït Ahmed, alors chef de l’Organisation secrète (OS). Aït Ahmed qui avait succédé à Mohamed Belouizdad à la tête de l’OS, raconte dans son livre, Mémoire d’un combattant, les détails de l’attaque contre la poste d’Oran. Le rôle de Ben Bella était secondaire. Les archives de la police française, par contre, affirment que c’est Ben Bella qui est à l’origine du démantèlement de l’Organisation en 1951.
Les dérives de l’ancien président, actuellement à la tête du fameux Comité des sages de l’Union africaine, ne s’arrêtent pas là. Personne ne trouve grâce à ses yeux. Tel que rapporté dans l’article de Jeune Afrique, Ben Bella ne cherche pas à «exagérer son rôle ! (sic)», «mais simplement à dire qu’il ne fut pas facile avant le déclenchement de la lutte armée de faire travailler ensemble les divers responsables du soulèvement et que c’est lui (Ben Bella) qui a réussi à aplanir les difficultés».
Selon Jeune Afrique, Ben Bella pense en particulier à la coordination et à la cohésion du groupe des pionniers du FLN qui n’allaient pas de soi. D’autant que «parmi eux, il y avait des Kabyles», pensant surtout à Krim Belkacem qu’il trouve, par ailleurs, «courageux».
Encore une assertion lourde de sens venant d’un ancien président de la République algérienne. Cinquante ans après l’indépendance, le premier chef de l’Etat algérien nourrit encore de la rancœur à l’égard du héros de la Révolution algérienne, principal artisan du Congrès de la Soummam, Abane Ramdane. Il ne fait aucun doute pour Ben Bella que celui qu’on surnomme «l’architecte de la Révolution» l’avait empêché d’aller assister au Congrès de la Soummam.
Même le véritable déclencheur de la Révolution, Mohamed Boudiaf, ne trouve pas grâce à ses yeux : «Il n’était pas un véritable combattant. Zéro sur le plan militaire.» Boudiaf se retournerait dans sa tombe. Pas étonnant que ces mots sortent de la bouche d’un ancien sous-officier de l’armée française.
Messali Hadj, un des pères du nationalisme algérien, est réduit par Ben Bella à un homme qui «faisait trop de cinéma. Il jouait trop un personnage avec sa barbe et sa tenue vestimentaire». Pathétique.
Personne, alors, n’a les faveurs de Ben Bella ? Si. Il ne faut pas chercher dans les rangs des maquisards de la Révolution, mais plutôt de l’autre côté de la barricade. Le général de Gaulle. Pour Ben Bella, «l’arrivée au pouvoir de cet homme, qui est au-dessus de tous les autres, ne pouvait qu’être une bonne nouvelle. J’ai pensé tout de suite que c’était une bonne chose», assume-t-il. Faire les louanges de de Gaulle «n’a aucun rapport avec le fait qu’il m’a décoré, lors de la Seconde Guerre mondiale, à Monte Cassino», assure Ben Bella.
Lorsque l’interviewé évoque dans «ses confessions» les révoltes arabes, tunisienne en particulier, il se dit «sceptique» quant à la capacité des Tunisiens à réaliser une révolution. Il hasarde une curieuse comparaison avec les Marocains «qui, eux, sont des vrais combattants et pas des poules mouillées» ! Les Tunisiens seraient-ils génétiquement incapables de se muer en vrais combattants, alors qu’ils viennent d’ouvrir la voie du changement à toutes les sociétés arabes ?
Enfin, Ben Bella ne manque pas de rappeler au passage que son père et sa mère «sont tous deux Marocains».