Les dangers et l’immoralité de l’État providence

Publié le 11 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

Par Richard Ebeling (*)

Pouvoir et paternalisme

Le paternalisme se caractérise principalement par un manque de confiance en l’individu. Il nie à l’être humain sa capacité à vivre une existence responsable et libre. Ceux qui souhaitent encadrer et gouverner nos vies nous trouvent trop ignorants, trop irresponsables, pas assez prévoyants pour nous occuper convenablement de notre assurance maladie, de notre retraite, de l’éducation de notre propre famille ou de nos choix de dépenses et de prévoyance.

Les politiciens paternalistes qui proposent d’élargir l’État providence se considèrent implicitement comme supérieurs à leurs concitoyens. Avec une arrogance tout de même incroyable, ils prétendent mieux connaître ce qui est bon pour nous que nous-mêmes. Ils s’apparentent en fin de compte aux tyrans déterminés à refonder le monde selon leur propre idéologie – et ce, bien entendu, pour notre bien et avec ou sans notre accord personnel : ils sont en effet disposés à utiliser la force envers leurs congénères pour parvenir à leurs fins. D’après eux, il serait justifié moralement d’utiliser le pouvoir coercitif de l’État pour prendre aux uns, en règle générale les plus prospères, et donner aux autres. Si un citoyen innocent refuse qu’on lui prenne une partie de son revenu ou de sa fortune à des fins de redistribution sociale, les paternalistes estiment clairement que l’État a le droit d’utiliser la force, allant même jusqu’à l’usage de la violence, dans le but de procurer à quelqu’un d’autre un coupon de nourriture, un logement social ou une visite chez le médecin.

Si cette argumentation paraît extrême ou exagérée, le sceptique pourra tester lui-même la réaction de l’État s’il informe l’autorité fiscale, le jour où il doit renvoyer sa déclaration d’impôt, qu’il accepte de payer sa contribution au financement de la police, des tribunaux et de la défense nationale, mais qu’il ne souhaite pas payer pour le subventionnement des systèmes sociaux, car il considère cette action inutile et immorale. Il pourrait se retrouver en prison plus vite qu’il ne le pense s’il résiste aux saisies confiscatoires de ses biens effectuées en cas d’impôts impayés.

Le pillage politique

Un grand nombre d’économistes, tels le prix Nobel James Buchanan, ont montré que l’action politique, à travers la redistribution ou l’intervention de l’État, est loin de trouver ses sources dans un quelconque « bien public » ou « intérêt général ». La réalité économique de la politique en démocratie est que les candidats et les partis ont besoin de contributions à leur campagne et de votes pour être élus et réélus. Pour les obtenir, ils utilisent l’argent des autres et offrent quelque privilège à leurs électeurs. Ce qui pousse le processus démocratique à un pillage politique est « la concentration des bénéfices et la diffusion des coûts » qui résulte des différentes interventions de l’État : supposons à titre purement illustratif que, dans un pays de trente millions de contribuables, le gouvernement prenne un franc à chaque citoyen puis redistribue les trente millions ainsi obtenus à un groupe de trente mille individus. Chaque contribuable aura vu sa taxation augmentée d’un franc alors que chacun des trente mille bénéficiaires gagnera mille francs supplémentaires.

Les trente mille bénéficiaires ont donc une forte incitation à effectuer du lobbying, à faire pression voire même à corrompre, ne serait-ce que moralement, les politiciens pour qu’ils votent une loi redistributionniste. Ils s’emploient ainsi à obtenir l’argent d’autrui par le processus politique, à la place de s’efforcer de le gagner honnêtement à travers le libre jeu de la concurrence sur les marchés. Chaque contribuable, de son côté, n’a qu’une petite incitation à passer son temps à s’efforcer d’influencer les politiciens pour économiser un franc d’impôt. Par conséquent, la démocratie moderne a dégénéré et a évolué vers un système de pillage perpétré par les politiciens dans le but d’octroyer des privilèges spéciaux, au détriment des consommateurs, des contribuables, de la société civile et des producteurs compétitifs.

Le mirage de la « justice sociale »

Un autre prix Nobel d’économie, Friedrich Hayek, a montré de façon convaincante qu’il n’existe pas de signification véritable à l’idée de « justice sociale », et ce même si l’on suppose que les politiciens paternalistes ont les meilleures intentions possibles. La « justice sociale », nous prévient Hayek, est un mirage. Le marché ne récompense pas en premier lieu un hypothétique mérite. Le marché rétribue les services : un individu a-t-il réussi à offrir aux autres un service dont la valeur a été jugée suffisamment élevée par les autres pour qu’ils soient prêts à payer un certain prix pour en bénéficier ? Il n’existe aucune façon objective de mesurer le « vrai mérite », la « vraie valeur » ou un « vrai besoin » : ces dimensions relèvent de l’appréciation personnelle. Il n’existe par conséquent pas de moyen impartial qui permette à l’État d’attribuer une part du revenu national à chaque membre de la société qui soit « socialement juste » et méritée.

Il est par conséquent préférable de laisser le soin de la charité, lorsqu’il s’agit d’aider des personnes vraiment nécessiteuses, aux individus ou aux associations qui font don de leur argent selon leurs propres critères. Ils peuvent choisir librement qui mérite leur aide et effectuer ce choix selon leurs standards. La charité privée, précisément parce qu’elle repose sur des contributions volontaires, est infiniment plus efficace que la version coercitive de l’État. En effet, personne ne dépense l’argent d’autrui avec autant de discernement que le sien et seule une aide ciblée et non centralisée peut identifier les cas de détresse. Les receveurs d’aide, à leur tour, doivent s’efforcer de redevenir autonomes. Autrement, leur aide diminue car ils sont en concurrence entre eux et parce que les donateurs peuvent avoir d’autres utilisations pour leur argent.

Aléa moral

L’État providence, au contraire de la charité privée, produit au fil du temps de nombreuses incitations perverses et modifie le comportement des membres de la société. Ce phénomène est nommé « aléa moral » par les économistes. En effet, si les coûts et les conséquences des actions et des mauvais jugements personnels sont pris en charge par les autres, une personne effectuant de mauvais choix n’a pas d’incitation à apprendre de ses erreurs et à agir plus prudemment dans le futur. L’incitation créée est donc celle de persévérer dans l’erreur et dans les mauvais choix. De plus, on montre aux autres membres de la société qu’ils peuvent eux aussi agir de manière irresponsable tout en profitant de l’assurance que quelqu’un – le contribuable – viendra réparer leurs erreurs.

Récemment, à cause des sauvetages préalables, certaines banques « trop grandes pour faire faillite » ont cru qu’elles pouvaient gérer imprudemment l’argent de leurs clients car elles pensaient – souvent à raison – que l’État viendrait les sauver au cas où leur stratégie « créative » d’investissement venait à ne pas fonctionner. De même, si les individus attendent du gouvernement qu’il s’occupe de leur retraite, subventionne leur assurance maladie, supervise l’éducation de leurs enfants, leur procure un travail, contrôle ce qu’ils mangent, boivent ou fument et qu’il les prenne en charge en cas de mauvaises décisions, comment et pourquoi ces individus sont-ils supposés vouloir assumer leurs responsabilités dans leurs affaires quotidiennes ? Une telle déresponsabilisation est particulièrement néfaste pour la prospérité à long terme d’une société.

Déficits et dette publique

En s’élargissant, l’État providence a besoin d’un financement de plus en plus étendu pour payer l’application des règlementations et des redistributions. Dépourvues d’une obligation constitutionnelle imposant un budget public équilibré ou limitant les dépenses publiques, les démocraties modernes se sont enfoncées de plus en plus profondément dans les déficits et dans l’endettement. En Suisse, la dette publique aux trois niveaux de l’État peut paraître raisonnable en comparaison internationale, mais elle a tout de même plus que doublé de 106 milliards de francs en 1990 à 219 milliards cette année. Ces montants n’incluent pas encore l’endettement implicite des assurances sociales, dû notamment aux mauvaises incitations et à l’absence de réformes face à l’évolution démographique.

Tout endettement public représente une hypothèque sur les revenus futurs des citoyens, puisque la dette et l’intérêt doivent être payés lorsqu’ils arrivent à échéance. Par conséquent, les déficits actuels entraînent une augmentation des impôts ou un emprunt encore plus élevé à l’avenir, pour payer les intérêts sur la dette déjà accumulée.

Mais il faut également réaliser que la société paie pour l’endettement public également au moment où il est contracté, et non seulement au moment du remboursement. En effet, chaque franc emprunté aujourd’hui par l’État est nécessairement pris quelque part. Ce franc n’est par conséquent plus disponible pour le secteur privé qui aurait pu l’investir et l’utiliser. Les ressources de la société sont toujours limitées : ces ressources sont donc utilisées soit par les individus dans le secteur privé, soit par le gouvernement. Elles ne peuvent pas être utilisées en même temps par les deux. Ainsi, chaque franc emprunté par l’État aujourd’hui (et la ressource réelle que représente le pouvoir d’achat de ce franc) ne peut pas être utilisé par les entreprises pour, par exemple, accumuler du capital, innover ou améliorer le savoir-faire des travailleurs afin d’augmenter leur productivité.

À la place, ce franc (et la ressource qu’il représente) est utilisé par l’État pour une consommation présente : les prestations sociales, les rentes en tous genres, les salaires des fonctionnaires. Par conséquent, plus l’État social absorbe de ressources, plus la société s’appauvrit dans le long terme, car les ressources sont utilisées pour une consommation présente, à la place d’être accumulées pour former un capital qui assurera les investissements nécessaires à un niveau de vie plus élevé à l’avenir.

La nouvelle route de la servitude

Ces considérations, et d’autres qui n’ont pas été évoquées ici, mettent en évidence les dangers de l’État providence et son immoralité. L’État social a toujours été et restera une menace nous menant vers une nouvelle « route de la servitude » au long de laquelle nos vies sont de plus en plus contrôlées, réglementées et manipulées par le pouvoir politique qui réclame le droit de nous dicter notre mode de vie.

L’État providence incarne l’immoralité des forces politiques qui prétendent avoir l’autorité légitime de bafouer nos droits individuels et naturels que sont le droit à la vie, à la liberté et à la propriété légitimement acquise. L’État providence interventionniste crée un nouveau système féodal dans lequel les politiques et les élites proches du pouvoir agissent en seigneurs qui gouvernent les vies des serfs modernes, nous autres, dont on attend qu’ils travaillent durement sous une réglementation étouffante et des impôts de plus en plus confiscatoires.

Tous ceux d’entre nous qui préfèrent vivre dans une société civile et travailler dans une économie de marché doivent faire tout leur possible pour arrêter et renverser le courant idéologique paternaliste actuel contre l’idéal humaniste de la liberté. À défaut, notre civilisation pourrait connaître une régression sensible, aboutissant à l’autoritarisme politique et à la stagnation économique pour les générations à venir.

Rapport publié originellement par l’Institut Constant de Rebecque.

(*) Richard Ebeling est professeur d’économie à l’Université Northwood et membre du conseil académique de l’Institut Constant de Rebecque.