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Vindicte populaire

Publié le 11 mai 2011 par Réverbères
Vindicte populaireIl a suffi que l’information de la libération conditionnelle potentielle de Michelle Martin parvienne sur la place publique pour que la vindicte populaire s’exprime de manière incontrôlée, déplaçant la monstruosité de cette femme coupable de crimes abominables vers ceux qui, au nom de leur émotion, sont prêts à en commettre eux-mêmes sous prétexte de se venger.
Sur Facebook, notamment, les groupes contre la libération de Martin ont fleuri, avec un succès fulgurant. Que les gens ne soient pas d’accord avec cette libération, on peut le comprendre. Mais les commentaires de « ceux qui savent » rivalisent en horreur abjecte ! Beaucoup ont déclaré « Je ne suis pas fier d’être belge… » ! Face à ce déferlement d’appels au meurtre et à la torture, c’est à mon tour d’avoir quelques doutes quant à ma fierté citoyenne. Mais pas pour les mêmes raisons.
Je souhaite être clair : Michelle Martin a participé à des crimes atroces et elle en est pleinement responsable. Elle n’a de plus certainement pas tout dit et cela renforce encore sa culpabilité. Dans notre système social, elle devait être punie. Sévèrement. Elle l’a été. Le jury d’assises qui a prononcé la culpabilité et la peine savait ce qu’il faisait, notamment lorsqu’il a refusé la « mise à la disposition du gouvernement », au contraire de la décision concernant Marc Dutroux. Toute peine d’emprisonnement peut être suivie d’une libération conditionnelle pour autant qu’un tiers de la peine ait été exécuté et que certaines conditions soient remplies, dont évidemment une bonne conduite en prison. Pour Martin, la décision de libération intervient non pas au tiers de la peine, mais à la moitié. Elle n’a – selon moi – rien d’inadmissible, de scandaleux, d’honteux, d’insultant, d’écœurant, de choquant, d’incompréhensible, d’inacceptable, d’intolérable…, comme un journal populaire l’affichait sur sa Une aujourd’hui. Cette libération n’est que l’application logique d’un processus de justice fondé plus sur un concept de reconstruction que sur celui de vengeance.
Que l’annonce de cette libération crée une grande émotion tant auprès des victimes que de la population, c’est tout à fait légitime et compréhensible. Je partage cette émotion. Que celle-ci se transforme en vindicte populaire sûre de son infaillibilité, c’est plus interpellant. Une des fondements d’une société démocratique est de disposer d’une justice indépendante, agissant librement et en dehors de toutes charges émotionnelles, dans le respect du droit. Vouloir substituer l’émotion à cette justice rigoureuse, n’est-ce pas ouvrir la porte à la folie autoritaire ?
Ces réflexions ne signifient évidemment pas que la justice ne doive pas évoluer. Il est toujours possible d’en améliorer le fonctionnement pour mieux prendre en compte certaines difficultés et certaines aspirations citoyennes. Ces améliorations doivent procéder d’un processus démocratique de réflexion et de débats, en gardant l’objectif d’une justice réparatrice – pour les victimes bien sûr, mais aussi pour les coupables – et non pas d’une vengeance simplificatrice.
En écrivant tout ceci, j’ai peur de me faire lyncher à mon tour ! Malgré toutes les monstruosités dont des hommes et des femmes peuvent se rendre coupables, je garde confiance en l’être humain et j’ai besoin de le dire. La justice est une preuve de l’humanité et de la grandeur de l’être humain. Elle reste évidemment œuvre humaine et, dès lors, souffre d’imperfections. Vouloir la détourner de ses objectifs, n’est-ce pas courir le risque de réduire l’être humain à un animal parmi les animaux ?

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