Chaque année, des dizaines de films que je désire ardemment voir sur grand écran ne parviennent jamais jusqu’aux salles obscures hexagonales. Ils sont coréens, européens, ou même américains, sont souvent trop grands publics quand ils ne sont pas en langue anglaise, trop confidentiels quand ils nous viennent des États-Unis, mais il est certains longs-métrages qu’on ne s’attend pas à ne pas voir parvenir jusqu’à nous. Avec Robert Redford comme réalisateur, un sujet aussi fort que l’assassinat d’Abraham Lincoln, et une distribution riche et éclectique réunissant entre autres Robin Wright, Kevin Kline, James McAvoy, Tom Wilkinson, Evan Rachel Wood, Danny Huston, Colm Meaney et Justin Long, j’étais loin de me douter que The Conspirator ferait partie des films qui n’auraient pas les honneurs d’une sortie cinéma française. Pourtant en lisant un article du Monde du 9 mai consacré aux films de cinéma ne trouvant pas le chemin des grands écrans français, j’ai découvert que le huitième long-métrage réalisé par Redford n’aurait droit qu’à une diffusion sur Canal Plus début 2012 sans passer par la case cinéma.
J’ai raconté il y a quelques semaines les liens qui unissent l’amateur de cinéma que je suis à l’acteur Redford, pourtant il ne faudrait pas croire que son travail de cinéaste m’ait moins accompagné au fil des années. Des sept longs-métrages que « Bob » a réalisé avant The Conspirator, seul Milagro n’est jamais parvenu jusqu’à mes yeux. Et au milieu coule une rivière fut l’un des premiers films à m’avoir profondément ému au cinéma, alors que je n’avais pas encore douze ans. Ma mère était venue me chercher à la sortie du collège pour me proposer de l’accompagner. Je me souviens avoir grogner, un peu, mais m’être finalement laissé entraîner, un peu pour lui faire plaisir, un peu pour avoir une bonne excuse pour ne pas faire mes devoirs, mais pas franchement pour le film en lui-même, une histoire de pêche en VO, pas franchement la tasse de thé d’un collégien de 11 ans.
Pourtant oui, ma mère a bien fait de m’y entraîner, car je me souviens encore de l’émotion qui m’a étreint à la vision de cette histoire de famille américaine, de celles qui sont forgées dans cette prose narrative un brin appuyée mais terriblement efficace. Je revois ce vieil homme plongé dans ses souvenirs, les pieds dans l’eau, maniant sa canne comme un instrument artistique, longtemps après que ceux dont il nous a raconté la vie à ses côtés soient décédés, et repense à l’un des premiers émois cinéphiles à s’être manifestés en moi. C’est à Robert Redford que je dois ce fort souvenir. Et même si ses films suivants n’ont pas eu le même impact sur moi, ils ont su me séduire, Quiz Show par sa verve et ses acteurs, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux par ses cadres impressionnants sur le Grand Écran de la Place d’Italie, La légende de Bagger Vance par la performance inattendue de Will Smith, Lions et Agneaux par l’audace d’un réalisateur osant un film parlant politique autour de tables pendant 1h30 en champs / contre-champs. Des gens comme les autres, qui lui avait valu d’inattendus Oscars, je l’avais entre-temps vu à la télévision.
Robert Redford n’est certainement pas le plus grand cinéaste américain, même pas le meilleur acteur reconverti en réalisateur, mais son cinéma sachant allier classicisme et audace force la curiosité. Il est trop tôt pour que je perde espoir de voir The Conspirator, son récit du procès ayant suivi l’assassinat d’Abraham Lincoln, sur grand écran. Le film est sorti il y a quelques semaines aux États-Unis dans des conditions difficiles (une période de l’année peu propice, une combinaison de salles indécise semblant condamner le film avant même sa sortie) et a malgré tout réussi à trouver un public assez inespéré alors qu’il semblait condamner à passer inaperçu.
Cette info découverte au détour d’une phrase dans Le Monde, annonçant que le huitième film réalisé par Robert Redford n’avait pas trouvé de distributeur pour le sortir en salles en France, m’a fait pester lundi matin. Mais n’a pas encore éteint l’espoir de tout de même le voir débarquer sur grand écran dans les mois à venir. Dieux du cinéma, venez à moi !