Patrick Mercier est un publicitaire averti et renommé. Après avoir travaillé chez BDDP, après avoir fondé Challenger House puis présidé la célèbre agence Léo Burnett en France, il a créé l’agence de communication CHANGE en 2009. Avec le temps, il s’est imposé comme le spécialiste des marques Challenger mais également comme l’un des publicitaires qui le plus tôt a compris que la musique et la marque* avaient des choses nouvelles à faire ensemble.
Commençons par les choses qui fâchent. Les annonceurs ont le sentiment que les agences de publicité maltraitent la musique ou ne savent en tirer qu’un bénéfice très réduit. Qu’en pensez-vous ?
Je comprends parfaitement ce sentiment, largement justifié. Le milieu de la publicité a pris la mauvaise habitude de traiter trop souvent la question de la musique comme un choix exécutionnel contribuant à l’impact de l’image, sans intégrer toujours l’importance que ces choix peuvent avoir pour définir l’identité de la marque et son attractivité pour les consommateurs. C’est une erreur. La question de la musique et du design musical en général est un vrai enjeu, enjeu de réussite parfois, enjeu de marque toujours. Enjeu de réussite parfois, parce que les choix musicaux devraient être un révélateur clair d’une intention stratégique. Certains choix de design musical sont déterminants. Par exemple, le choix d’un remix des Bloody Beetroots pour Numéricable a permis de remettre la marque dans l’énergie de la modernité, et contribué à l’émergence de la campagne et son succès commercial. Si toutes les initiatives musicales ne sont pas aussi déterminantes, le design musical est toujours contributeur car rien n’est neutre dans ce domaine.
Comment les choses devraient-elles évoluer ?
C’est une question de prise de conscience. Le design musical est toujours un enjeu de marque. Pour que la communication puisse graver, campagne après campagne, une trace claire dans la mémoire, il faut identifier des signes de reconnaissance que l’on répétera. D’où le Branding» : la création raisonnée de signes de reconnaissance. Un design musical expert, abouti, bien pensé et bien réalisé permet de créer de manière maîtrisée ces signes de reconnaissance musicaux, qui sont aussi importants, sinon plus, que les signes de reconnaissance visuels que visent à maîtriser les chartes graphiques, car la mémoire auditive ancre beaucoup plus profondément le souvenir. La preuve : vous n’avez pas entendu la musique de la marque «Belle des champs» depuis plusieurs décennies et pourtant elle vous reste familière. Chez CHANGE, nous allons chercher les expertises les plus abouties pour intégrer cette réflexion et ce travail à nos missions. Nous amenons nos clients à se pencher sur leur identité sonore pour qu’elles se placent dans la continuité du travail que nous réalisons pour une marque.
Quelle vision à long terme avez-vous du marketing sensoriel dans la stratégie de communication d’une marque ?
Il faut faire la différence entre trois mots. Identité. Design. Marketing. Le travail sur l’identité sensorielle travaille sur des signes. Le travail du design sensoriel porte sur l’expérience. Le marketing sonore sur la stratégie marketing. La question du marketing sensoriel est de sortir d’une perception qu’il n’est qu’un habillage alors qu’en réalité il est stratégique. La question est donc de passer de l’identité au marketing. Nespresso a compris qu’il était une marque de luxe, il a donc un marketing sensoriel de marque de luxe, qui va impacter sur l’expérience (un club, une revue, des flagships, …), ainsi que sur les signes. Plus une marque intègre en amont le besoin d’intégrer dans son offre produit et service la différenciation d’expérience, plus elle est efficace en communication, ce serait-ce que parce que ses clients (qui deviennent des fans) font le travail pour elle. D’où notre désir de travailler en partenariat avec nos clients dans les démarches d’innovation et de marketing, ce que nous faisons par exemple avec Andros ou Rana.
Une marque peut-elle encore se passer aujourd’hui d’identité sonore ?
Non. D’ailleurs, les marques le font de moins en moins. La question est plus d’avoir une bonne identité sonore que de s’en passer. A partir du moment où elle émet un son, une marque a une identité sonore. C’est comme les vêtements. Nous en portons tous. Certains sont justes plus doués que d’autre pour maîtriser les messages qu’envoient les vêtements qu’ils portent. C’est une question difficile pour beaucoup d’annonceur : se doter d’une bonne identité sonore, c’est trouver le bon expert pour la créer. L’expertise est rare et les annonceurs ne savent pas toujours la solliciter.
* Patrick Mercier est à l’origine de l’identité sonore de Quick et de sa célèbre signature.