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Pina

Publié le 10 mai 2011 par Belette

D’abord les lunettes sont un peu trop lourdes, il paraît qu’il y a les lunettes actives et les lunettes passives, allons bon, celles-ci sont actives, ouf je préfère ça, c’est pourquoi elles sont chères, si on regarde l’écran sans lunettes il est flou, pas beaucoup, un peu, juste assez pour brouiller les signes et les figures de la 3D. Elles finissent par faire mal aux petits nez. Mais grâce à elles, les danseurs nous frôlent, le rideau translucide qui sépare la scène en deux prend son origine derrière notre épaule, que l’on soit devant, au milieu ou au fond de la salle de cinéma.

Celle-ci est orange, et le film se partage en deux couleurs : nuances de noir et blanc pour les images évoquant directement Pina, comme les vieilles bandes de Café Müller et, en parallèle, sa reconstitution par la compagnie, et les couleurs chaudes de la ville ou de la scène, souvent agrémentées d’une touche de rouge, une robe, pour les grandes scènes de ballet.

Au milieu de tout ça, les interprètes interviennent tour à tour sur un fond gris pour dire une phrase en souvenir de Pina, ou simplement pour regarder la caméra – un silence extrêmement bienvenu, étant entendu qu’on ne peut pas demander à un chien de miauler. Certaines remarques sont pourtant touchantes, le silence de Pina elle-même y revient fréquemment, son regard, assise à la table au fond de la salle de répétition, pendant plus de 20 ans, son acharnement au travail, sa cigarette, son acuité, sa pertinence et sa grâce. Quelques images historiques, et l’on s’aperçoit, comme une évidence, que n’importe quel mouvement effectué par elle est transformé, sublimé, en quelque chose de grand et d’émouvant. Le film ne devait pas se faire sans elle, mais elle est morte trop tôt.

Alors les danseurs dansent pour elles ses chorégraphies — surprenantes, dynamiques, drôles, tristes, mouillées, difficiles, vivantes.

Au début, ils sont tous ensemble pour Le Sacre du Printemps, puis, à deux, trois, quatre, cinq, ils accompagnent les éléments, une pierre, la pluie, puis se voient placés par le cinéaste parmi les éléments, au bord d’un étang, sur la terre d’une carrière, dans un métro aérien, sur la plate-forme d’une immense et vieille usine bigarrée. Dire, voir, danser la ville, et la vie. 40, 65, 16 ans, Wim Wenders reprend des extraits de Kontakthof dansé par des adolescents (Les Rêves dansants) et des vieilles personnes. C’est comme si chaque mouvement était un mouvement que l’on aurait presque pu faire spontanément, dans la vie de tous les jours. Comme un imperceptible déplacement, qui dit bien plus que les gestes familiers.

Toucher, porter, sentir, sauter, ramper, gravir, respirer, marcher, magnifique le jeune homme qui avance lentement parmi les ombres, une branche de bois sur la tête, deux sur les épaules, trois sur chaque bras, superbe la jeune femme qui se débat dans les eaux, impressionnante celle qui se laisse tomber pour se faire rattraper au ras du sol par son partenaire. Ils viennent de tous les pays mais parlent la même langue, celle du corps.



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