Certaines impatiences sont tout ŕ fait légitimes. Celle-ci l’est : la communauté de la sécurité aérienne tout entičre affiche le souhait de connaître dans le détail le déroulement des derničres minutes du vol AF447 du 1er juin 2009, avec l’espoir que le décryptage des deux enregistreurs de bord, DFDR et CVR, permette de déterminer les causes de la catastrophe.
Peut-ętre parle-t-on en jours, les précieux enregistreurs devant arriver dans les laboratoires du BEA dans le courant de la semaine. Tout est fait, avec une belle constance, pour nous permettre de suivre l’opération dans ses moindres détails, heure par heure. Ainsi, nous savons que c’est le patrouilleur de la Marine nationale La Capricieuse qui vient de rejoindre l’Ile-de-Sein, dans l’Atlantique Sud, navire ŕ bord duquel se trouve l’équipe de recherche qui a localisé l’épave de l’A330 puis retrouvé et remonté les boîtes Ťnoiresť (notre illustration). Elles vont ętre ramenées en France au départ de l’aéroport de Cayenne, cela sous bonne escorte, c’est-ŕ-dire avec le directeur de l’enquęte, son homologue brésilien et un officier de police judiciaire.
Trčs rapidement, les techniciens pourront dire si un séjour de prčs de 2 ans par 3.900 mčtres de profondeur n’a pas altéré les enregistreurs et sans doute une premičre lecture suffira-t-elle ŕ rassembler de précieuses données. On ne peut s’empęcher de noter, ŕ cette occasion, qu’il est légalement justifié que l’opération soit confiée au BEA, l’accident étant survenu dans les eaux internationales ŕ un avion immatriculé en France et exploité par une compagnie française. Les critiques émises ŕ propos de cette maničre de faire sont totalement injustifiées, voire médisantes, et semblent aussi ignorer le caractčre résolument international de l’enquęte (12 pays sont observateurs).
Ces jours-ci, les commentaires continuent évidemment d’aller bon train et, pour tromper leur impatience, nombre de spécialistes commentent le trčs long article publié, le week-end dernier, dans le supplément hebdomadaire du New York Times sous la signature de Wil. S. Hylton (1). Cette enquęte mérite qu’on s’y attarde, tout ŕ la fois parce qu’elle illustre une forme de journalisme d’investigation ŕ l’américaine qui mérite le respect mais comporte aussi des erreurs qui, dans un tel contexte trčs tendu, risquent d’ętre prises pour argent comptant.
Ainsi, notre confrčre estime que la formule des enregistreurs de vol correspond ŕ une technologie dépassée. Il n’a pas tout ŕ fait tort, il est souhaitable d’envisager un systčme de transmission satellitaire en temps réel. Mais il convient d’ajouter qu’il est rarissime que DFDR et CVR ne soient pas retrouvés et lus par les enquęteurs, quelles que soient les circonstances d’un accident. La preuve en est précisément donnée par le cas extręme de l’AF447.
Par ailleurs, l’analyse de Wil Hylton laisse entendre que le vol de croisičre ŕ haute altitude d’un long-courrier présenterait de sérieux dangers. Cela en raison de l’écart étroit entre la vitesse de l’avion et sa vitesse de décrochage dans une atmosphčre oů l’air est raréfié. Cette affirmation n’est pas fondée, la plage de vitesses ŕ l’intérieur de laquelle évoluer présentant un certain confort. Elle ne justifie pas l’emploi de l’expression Ťcoffin cornerť, coin du cercueil, que nous préférerions d’ailleurs qualifier de Ťlimite de l’épureť. Tout est déjŕ suffisamment compliqué pour que l’on évite, bons auteurs compris, d’encourager les inquiétudes rentrées des passagers aériens.
Enfin –mais c’est lŕ un tout autre sujet- interrogé par le New York Times, Jim Hall, un ancien patron du NTSB (National Transportation Safety Board) affirme haut et clair que le systčme français de la double enquęte, l’une technique, l’autre judiciaire, est une Ťerreurť. Certes, c’est un point de vue que nous partageons, que nous avons réguličrement évoqué dans le passé. Mais, franchement, ce n’est vraiment pas le moment d’en reparler !
Toujours ŕ propos de l’impartialité du BEA, Peter Goelz, autre ancien directeur du NTSB, prend visiblement un malin plaisir ŕ souligner que l’Etat français est actionnaire d’Air France et aussi d’EADS, maison-mčre d’Airbus. C’est exact mais, ŕ partir du moment oů un soupçon perfide de relations incestueuses apparaît sournoisement dans une enquęte journalistique, il faudrait en dire plus, expliciter et relativiser. Ce qui n’est pas le cas et c’est ennuyeux.
Reste le fait que la maničre de faire du New York Times est solide et pourrait utilement inspirer de grands médias européens qui se prennent volontiers au sérieux sans en avoir tout ŕ fait le droit.
Pierre Sparaco-AeroMorning
nytimes.com/magazine