Jan de Bray (Haarlem, c.1627-1697),
David jouant de la harpe, 1670.
Huile sur toile, 142 x 154 cm, collection privée.
Bien que souvent éclipsé par l’attention portée par les interprètes au répertoire italien de la même époque, celui créé dans
l’Allemagne du XVIIe siècle regorge de richesses, dont beaucoup doivent leur renaissance au remarquable travail entrepris, entre autres, par
Jérôme Lejeune dans le cadre de sa série « Deutsche barock Kantaten » (Ricercar) dès la fin des années 1980. S’il a ponctuellement collaboré à cette entreprise, notamment
dans un remarquable disque Scheidt (1999), l’ensemble La Fenice, dirigé par le cornettiste Jean Tubéry, s’est plutôt fait une spécialité des compositeurs ultramontains. C’est cependant vers le
septentrion qu’il nous entraîne aujourd’hui, en compagnie du ténor Hans Jörg Mammel, dans Jauchzet dem Herren, un programme publié par Alpha proposant essentiellement des compositions
sur les Psaumes de David.
Les cités du nord de l’Allemagne et, en particulier, celles de la ligue hanséatique, telles Hambourg, Brême ou Lübeck, ont
été, grâce à des échanges commerciaux redevenus florissants entre la Paix d’Augsbourg (1555) et le début de la guerre de Trente Ans (1618), précocement en contact avec les nouveautés musicales
élaborées en Italie, ainsi qu’en attestent, par exemple, les œuvres de Hieronymus Praetorius (1560-1629) publiées à Hambourg au tout début du XVIIe siècle, avant même que des compositeurs comme Heinrich Schütz aillent se familiariser avec elles in situ et en assurent une diffusion plus
large encore. La générosité mélodique et expressive, le goût de la sensualité sonore propres aux compositeurs italiens vont donc venir féconder très tôt, contrairement aux assertions du livret
assez approximatif accompagnant le disque, une musique luthérienne jusqu’alors marquée par une grande sobriété, sans qu’elle renie pour autant l’exigence de lisibilité née de sa fonction
première de soutien des textes dont le Sola Scriptura de Luther fit, rappelons-le, des piliers essentiels de la Réforme.
Parmi ceux-ci, les Psaumes de David, au cœur de cet enregistrement, ont particulièrement inspiré les musiciens,
par le fantastique déploiement d’images qu’ils proposent. Des pièces très concentrées des aujourd’hui obscurs Johann Sommer (c.1570-1627), organiste et cornettiste actif à Brême, ou Julius
Johann Weiland (c.1605-1663), chanteur et claviériste actif, lui, à Wolfenbüttel en Basse Saxe, à celles du célèbre Dietrich Buxtehude, représenté dans cette anthologie par le brillant concert
spirituel Dixit Dominus et le très émouvant Klag-Lied, dont seule la seconde partie (BuxWV 76/2, « Muss der Tod », trois strophes enregistrées ici sur les
sept qu’il comprend), contrairement à ce que prétend le livret, a été composée par Buxtehude à l’occasion de la mort de son père en 1674, la première, « Mit Fried und Freud »
(BuxWV 76/1), étant antérieure de trois ans et se rapportant à la cérémonie funèbre du surintendant de Lübeck Meno Hanneken avec lequel le musicien était très lié, Jauchzet dem Herren
propose un panorama assez complet des expressions du sacré jusqu’au début du XVIIIe siècle. Outre les contrastes dramatiques très accentués du
virtuose Aus der Tiefe de Christoph Bernhard, élève de Schütz à Dresde et successeur de Selle à Hambourg, et l’intensité contenue de la mise en musique riche en figuralismes de Johann
Philipp Förtsch, actif lui aussi principalement à Hambourg, sur le même texte, ce disque propose également le très coloré et exigeant Jauchzet dem Herren, dont la fluidité mélodique
annonce Bach, ainsi que l’impressionnant Prélude et Fugue en mi mineur pour orgue de Nikolaus Bruhns, un élève remarquablement doué de Buxtehude qui aurait été sans doute été un
immense compositeur s’il n’était prématurément mort à 32 ans. Les différentes pièces vocales sont judicieusement accompagnées d’œuvres instrumentales qui rappellent opportunément que si elle
reste bien moins connue que celle de sa cousine ultramontaine, la contribution de l’Allemagne dans ce domaine est loin d’être négligeable, comme le démontrent la vigueur colorée et les trésors
d’inventivité des deux Canzone et de la Sonata signées respectivement par Samuel Scheidt, Johann Sommer et Matthias Weckmann.
L’anthologie que proposent
Hans Jörg Mammel (photographie ci-contre) et La Fenice est d’un très bon niveau, un peu en retrait, cependant, au regard des espoirs qu’une telle affiche pouvait faire naître. Les neuf
musiciens, chef-cornettiste compris, font cependant montre des qualités qu’on leur connaît habituellement ; le discours est souple, bien articulé et parfaitement tenu, la pâte sonore
légère, mais très lumineuse et colorée. Offrant à la voix un accompagnement et une repartie également somptueux, l’ensemble vivifie les œuvres purement instrumentales avec une vivacité et un
brio qui n’excluent pas de vrais moments de poésie, comme au tout début de la Sonata a 4 de Weckmann. La prestation du ténor laisse, en revanche, quelquefois perplexe, spécialement
dans les trois premières pièces du disque où sa voix est affectée de fragilités touchant les registres extrêmes de la tessiture, perceptibles, en particulier, dans des aigus assez tendus. Le
chanteur parvient néanmoins à estomper ces difficultés passagères en usant d’un métier très sûr et d’une remarquable sensibilité musicale, ainsi que l’atteste sa très belle interprétation du
Klaglied de Buxtehude, auquel il confère un caractère de prière chuchotée à mi-voix qui tranche sur le dolorisme plus théâtralisé des réalisations avec voix de contre-ténor, aussi
pertinentes et réussies soient-elles, comme celle, par exemple, d’Andreas Scholl (Harmonia Mundi, 1998). Abordant avec une autorité certaine les morceaux plus festifs, comme le Jauchzet dem Herren de Bruhns qui clôt le disque et soutient la comparaison avec la version
enregistrée, dans le cadre d’une remarquable intégrale des cantates de ce compositeur (Ricercar, 1989), par Guy de Mey, Hans Jörg Mammel semble avoir fait le choix délibéré d’apporter à cette
musique une dimension très incarnée, mais sans lourdeur, la clarté et la légèreté de son timbre s’harmonisant parfaitement, en outre, avec la texture instrumentale transparente tissée par La
Fenice (photographie ci-dessus). Comme très souvent avec Jean Tubéry, cet enregistrement se signale donc par la cohérence de sa conception et l’intelligence de sa réalisation qui mettent en
lumière le caractère à la fois intime et brillant de la musique d’Allemagne du Nord au XVIIe siècle tout en faisant nettement sentir la dimension humaine de louanges qui, si elles s’adressent au Ciel, n’en demeurent
pas moins solidement ancrées dans une réalité toute terrestre.
En dépit de ses quelques limites vocales, nul amateur de musique baroque allemande ne saurait ignorer ce disque qui propose,
aux côtés de partitions aujourd’hui bien connues, des œuvres plus rares (Förtsch) voire, sauf erreur, inédites (Weiland, Sommer). Même si la musique italienne est au cœur du parcours artistique
de La Fenice, on ne peut qu’espérer d’autres escapades en terres septentrionales pour Jean Tubéry et ses troupes, que leur finesse d’approche désigne comme d’excellents serviteurs de ce
répertoire.
Jauchzet dem Herren, les Psaumes de David au XVIIe
siècle en Allemagne du Nord.
Œuvres de Dietrich Buxtehude (c.1637-1707), Samuel Scheidt (1587-1654), Johann Philipp Förtsch (1652-1732), Julius Johann Weiland (c.1605-1663), Matthias Weckmann
(1616-1674), Nikolaus Bruhns (1665-1697), Christoph Bernhard (1628-1692), Johann Sommer (c.1570-1627).
Hans Jörg Mammel, ténor
La Fenice
Jean Tubéry, cornet à bouquin & direction
1 CD [durée totale : 68’24”] Alpha 179. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Johann Sommer :
Canzon a 4 (2 violons, 2 cornets à bouquin, basse continue)
2. Dietrich Buxtehude :
Mit Fried und Freud ich fahr dahin – Klaglied (extrait), BuxWV 76/1 & 76/2
Illustrations complémentaires :
La photographie de l’ensemble La Fenice, extraite de son site, est de Raynald Henry.