Magazine Poésie

10 mai 1981

Par Gerard

 

Il faut avoir eu 20 ans et avoir vécu ça. La cavalcade dans les escaliers pour échapper aux parents attérés devant leur poste de télé, persuadés (qui les a persuadé ?) que les chars russes vont arriver. Rejoindre les vieux résistants pleurant de joie dans la nuit en parlant de libération et vous tombant dans les bras. Trinquer avec des inconnus dans cette ville de Caen, pourtant si réservée d'habitude et se sentir peuple, devenir peuple, pour la première fois.

Il faut avoir eu 20 ans et avoir sans fin débatu, dans la brasserie qui vendait nos conversations aux RG, de la francisque de Mitterrand, du plein pouvoir qu'en ministre de la Justice il donna aux militaires pour les laisser torturer en Algérie. Bousquet, ça, nous l'apprendrions plus tard.

"Tu n'as pas de consience politique", m'avait dit un ami socialiste d'alors tandis que je faisais campagne au premier tour pour Coluche. L'espérance, en ces jours-là, voyait sa cote s'envoler. L'hallucination aussi. Ma correspondance sur le sujet avec Raymond Aron : "Gardez vos espoirs, je garderais mes doutes", concluait-il sagement.

La France vira à gauche au moment pile de la révolution conservatrice mondiale initiée par Hayek (Prix Nobel d'économie 1974) et mis en musique par l'hydre à deux têtes Thatcher-Reagan. Aussi mit-on 30 ans à réaliser ce que nous avions vécu et à quoi nous avions pris part. Et encore : beaucoup ne l'ont toujours pas compris.

Qu'importe : la ferveur d'un peuple lorsqu'on la libère, l'absurdité et la médiocrité des professionnels de la politique bien incapables de rejoindre les hauteurs de cette ferveur : la double leçon du 10 mai. 


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