Jesús Huerta De Soto, Money, Bank Credit, and Economic Cycles, 812 pages.
Dans les premiers chapitres, De Soto commence par relater l’histoire du système bancaire, partant d’aussi loin que de l’Empire romain. Il se consacre plus précisément à l’évolution du dépôt bancaire. De Soto différentie les dépôts à terme des dépôts à vue. Dans le premier type de dépôt, la propriété du bien est transférée temporairement à la banque pour une durée déterminée, alors que ce n’est pas le cas pour le dépôt à vue, lequel est plutôt confié en garde auprès de la banque et disponible pour retrait en tout temps. En ce sens, le dépôt à terme est essentiellement un prêt octroyé à la banque par le déposant. Comme la propriété est transférée en vertu de ce prêt, la banque peut l’utiliser à sa guise, alors que pour le dépôt à vue, la banque s’engage à retourner la somme en tout temps, elle ne peut donc s’en départir en faisant un prêt sans déroger à son obligation contractuelle. Beaucoup de gouvernements ont permis aux banques d’effectuer légalement cette pratique frauduleuse, dans le but d’utiliser le stratagème pour financer les dépenses de l’État, surtout les dépenses de guerre, et pour en profiter par l’entremise de la fiscalité. De Soto décrit très bien ce lien de complicité entre les gouvernements et les banquiers.
Certains diront que la plupart des déposants autoriseraient contractuellement les banquiers à utiliser les dépôts à vue pour faire des prêts et investissements, mais ce genre de contrat est impossible puisque si c’était le cas, en acceptant ces termes, les déposants renonceraient au droit d’accès immédiat à leur argent, puisque celui-ci ne peut se retrouver à deux endroits en même temps. Ceci étant dit, les contrats de dépôt bancaire des banques ne spécifient pas les conditions et la véritable nature de l’entente. La lecture de ce contrat ne permet pas au déposant d’en comprendre les implications. En fait, c’est de façon secrète que les banquiers ont commencé à utiliser frauduleusement la monnaie de leurs déposants pour faire des prêts, et non de manière claire et explicite. Le paiement d’un taux d’intérêt minime et « symbolique » sur ces dépôts n’est que de la poudre aux yeux, de façon à dissimuler la vraie nature de l’activité et à la déguiser en prêt. Ce n’est que plus tard que cette pratique frauduleuse fut légalisée par les gouvernements, qui y ont vu un moyen efficace de financer leurs dépenses.
Par ailleurs, De Soto mentionne avec raison que le système bancaire à réserves fractionnaire et la banque centrale n’ont pas émergé naturellement sur le libre-marché, mais ont bel et bien été imposés par l’État par force de loi. La banque centrale sert non-seulement à fournir de la liquidité de dernier recours aux banques qui en de besoin, mais surtout à coordonner le rythme auquel elles génèrent du crédit (et crée de la monnaie). Pour De Soto, le système qui a émergé suite aux décisions économiques faîtes par des millions de personnes au cours de l’histoire est l’étalon-or, et non le système actuel.
Par la suite, De Soto décrit de quelle façon l’inflation monétaire a contribué à mener l’Empire romain à sa chute. Il décrit aussi très fidèlement l’histoire de la fameuse Banque d’Amsterdam, qui ouvrit ses portes en 1609 et qui arrivait à être rentable même si elle n’utilisait pas les dépôts à vue pour faire des prêts, maintenant ainsi un ratio de réserves de 100% et exigeant des frais pour la garde de ces dépôts entre autres services financiers. La banque a divergé de cette discipline dans les années 1780, pour financer les dépenses de l’État durant la guerre anglo-néerlandaise. Selon De Soto, la Banque d’Amsterdam fut la dernière de l’histoire à maintenir un ratio de réserves de 100%. L’auteur aborde aussi les failles du Peel Act de 1844 en Angleterre, qui empêchait l’émission de notes bancaires sans espèces sous-jacentes, mais qui permettait les réserves fractionnaires sur les dépôts à vue. De Soto relate aussi les histoires de John Law et Richard Cantillon, démontrant le pouvoir destructeur de l’inflation.
Dans une autre section de l’ouvrage, De Soto décrit de façon très exhaustive l’approche de l’école autrichienne d’économie et sa théorie des cycles économiques. Il critique ensuite les autres écoles de pensée, qui sont essentiellement les monétaristes et les keynésiens. Il montre que la faille de la plupart de ces doctrines est qu’elles ne disposent d’aucune théorie du capital qui soit valable et ne peuvent expliquer les déformations de la structure de production en fonction des préférences temporelles des agents.
Il explique de manière très exhaustive de quelle façon l’inflation engendre du chômage en occasionnant la décoordination des agents économiques et de mauvais investissements. La création de monnaie envoie un faux signal aux marchés ce qui fait allonger inutilement la structure de production. Des investissements sont alors entrepris sans qu’ils ne correspondent aux besoins réels du marché, sans qu’il n’y ait suffisamment d’épargne pour les compléter et sans que les biens intermédiaires soit disponibles en quantités suffisantes pour les alimenter.
De Soto consacre ensuite un chapitre à réfuter les arguments des défenseurs d’un système bancaire « libre » (a.k.a. White et Selgin), dans lequel les réserves fractionnaires seraient permises. Pour De Soto, un système avec réserves à 100% ne constituerait pas une diminution de liberté, mais plutôt une façon de préserver les droits de propriété. Selon lui, les réserves fractionnaires constituent une impossibilité légale et une violation des droits de propriété, au même titre que la contrefaçon de monnaie.
L’ouvrage se termine par un chapitre proposant une réforme du système monétaire, laquelle est basée sur un système bancaire avec des réserves entières ainsi que sur un retour à l’étalon-or. Tout comme Rothbard, il ne prône pas l’imposition légale de l’étalon-or, mais il affirme que c’est cette forme de monnaie qui émergerait librement sur le marché.
En somme, ce livre est un véritable traité sur l’histoire du système bancaire. C’est selon moi un incontournable pour quiconque désirant véritablement comprendre l’économie, et ce malgré qu’il soit trop long et qu’il comporte certains passages plutôt indigestes, voire inutiles. Je le recommande donc fortement.