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ÉGYPTE - Rencontre avec les Frères musulmans, au Caire

Publié le 06 mai 2011 par Pierrepiccinin

Égypte - Rencontre avec les Frères musulmans (e xclusivement sur ce site)

Pour tenter de mieux comprendre la réalité des révoltes qui ont secoué le monde arabe depuis décembre 2010, nous avons rencontré plusieurs des acteurs de ces mouvements de contestation. En Tunisie, nous avons été reçus par Rhadia Nasraoui, Hamma Hammami (TUNISIE - Entretien avec Radhia Nasraoui et Hamma Hammami ) et Moncef Marzouki (TUNISIE - Entretien avec Moncef Marzouki), principales figures de la résistance à la dictature de Ben Ali. En Égypte, nous avons eu un entretien avec Nawal al-Saadawi, écrivain féministe, très engagée dans la lutte pour la démocratie (ÉGYPTE - Entretien avec Nawal al-Saadawi).

Nous avons également interrogé les représentants des Frères musulmans, le mouvement islamiste...

ÉGYPTE - Rencontre avec les Frères musulmans, au Caire
ÉGYPTE - Rencontre avec les Frères musulmans, au Caire

Khaled HAMZA Mohamed al-KATATMY

Nous avons ainsi rencontré le Docteur Mohamed al-KATATMY, porte-parole des Frères musulmans, qui représente la tendance traditionaliste du mouvement, et Khaled HAMZA, rédacteur en chef du site IKHWANWEB, le site officiel des Frères musulmans, représentant de la tendance progressiste de ce mouvement islamiste, qui serait sur le point de ce scinder.*

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" C'est Israël qui refuse de faire la paix avec les Palestiniens... "

Docteur Mohamed al-Katatmy, la "révolution" égyptienne a entraîné le départ du président Hosni Moubarak. Mais a-t-elle réussi à mettre à bas ce régime dictatorial corrompu?

Moubarak a en effet quitté la présidence, mais en désignant ses successeurs. En outre, il conserve l'appui de l'armée.

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Quant au "nouveau" gouvernement, il comprend beaucoup d'anciens moubarakistes, qui ont toujours fidèlement servi l'ancien régime.

Quel est votre sentiment?

L'avantage de cette révolution, c'est que tout le peuple y a participé. Aucun groupe n'est resté isolé; tous les Égyptiens ont participé, à commencer, d'ailleurs, par les Frères musulmans, qui ont toujours résisté à la dictature et l'ont payé très cher

Nous avons appelé le peuple à participer et à se battre pour sa liberté. Et le peuple s'en souviendra.

Mais la révolution n'est pas tout à fait terminée et nous continuons à avancer, pour transformer complètement l'État égyptien. Pour y arriver, nous sommes prêts à aider le peuple et le peuple égyptien sait qu'il peut compter sur nous, sur notre bonne organisation, sur notre fermeté, sur notre détermination, car le peuple sait bien que nous n'avons jamais laissé tombé le combat, même dans les moments les plus durs, lorsque nous étions mis en prison, alors que d'autres s'enfuyaient en exil.

Comme vous le dites, Moubarak est parti, mais ce n'est pas assez : il faut que les autres corrompus, ceux qui l'ont soutenu et qui ont profité du système, que tous ceux-là partent aussi. Et puis, il faut changer les mentalités et réformer la société : il faut redonner la fierté aux Égyptien; qu'ils retrouvent confiance en eux, dans leur pays, dans leur culture, dans leurs coutumes.

Pour le moment, l'armée a le pouvoir. Bon. Mais elle a promis de le quitter dans six mois et de le laisser à un régime démocratique, à ceux que le peuple égyptien choisira. Jusqu'à maintenant, ce qui se passe va dans la bonne direction, dans le chemin de ce que l'armée a promis.

Tant que l'armée tiendra ses promesses, nous accompagnerons pacifiquement le processus de démocratisation.

Mais comment l'opposition pourra-t-elle faire face à la machine d'État de Moubarak qui, dans les faits, est restée au pouvoir, tandis que l'armée encadre étroitement la population? L'opposition n'est pas organisée. Comment pourra-t-elle mobiliser les électeurs, a fortiori si les élections arrivent dans six mois seulement?

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© photo Pierre PICCININ - 2011

Mais ne faudrait-il pas laisser plus de temps aux autres mouvements de l'opposition, pour qu'ils puissent s'organiser et se faire connaître?

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Les liens de l'armée avec le Pentagone laissent entendre qu'elle ne serait pas neutre. Quel jeu l'armée joue-t-elle réellement? Et quelle serait l'influence des États-Unis dans les événements?

Comme je le disais, l'armée, jusqu'à présent, a l'air de vouloir respecter le processus de démocratisation; elle le met en oeuvre et, tant que cela se passe ainsi, nous lui donnons notre confiance. Mais nous la mettons en garde : elle le regretterait fortement, si elle trahissait le peuple .

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Les États-Unis seraient donc prêts à renoncer au contrôle du Canal de Suez et au soutien que l'Égypte apportait à Israël, leur meilleur allié dans la région?

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Comme vous le savez, les Frères musulmans inquiètent, en Occident. Le spectre de l'islamisme, de l'intégrisme religieux, la menace terroriste... Que feriez-vous si les élections vous donnaient le pouvoir Égypte?

Mais notre but n'est pas de prendre le pouvoir en Égypte. Sauf si le processus démocratique nous mène au pouvoir .

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Ce que nous proposons, ce sont des réformes pour améliorer la vie des Égyptiens, pour leur rendre leur fierté d'être égyptiens, pour leur rendre une morale et un sens à leur vie.

Les Frères musulmans ont-ils des rapports privilégiés avec le Hamas, à Gaza, le Hezbollah, au Liban, ou l'Iran?

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L'idée des Frères musulmans n'est donc pas d'établir en Égypte une république islamique et d'imposer la charia, la loi coranique?

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Je n'ai pas dit cela non plus...

Nous sommes contre un État religieux. Nous sommes pour un État laïc.

Nous sommes contre un État qui serait dirigé par des religieux, comme les Ayatollahs en Iran. Nous sommes pour la laïcité, pour un État où c'est le peuple qui gouverne tout, et non les religieux.

Cela, c'est l'idéologie des Frères musulmans.

Mais nous sommes respectueux de la loi enseignée dans le Coran.

Comme je disais, c'est le peuple qui doit décider.

Et concernant Israël et l'occupation des territoires palestiniens? Quelle serait la position d'un parlement égyptien où les Frères musulmans obtiendraient la majorité des sièges?

Il est bien certain que, si l'Égypte devient démocratique, le peuple égyptien ne laissera plus Israël se comporter avec nos frères de Palestine comme elle se comporte maintenant.

Moubarak, qui était le serviteur des Américains et des Israéliens, non seulement a laissé faire, mais, en plus, il a aidé Israël à réprimer la juste révolte des Palestiniens. Il a fait la guerre aux combattants arabes qui se battaient pour la liberté de la terre arabe.

Nous avons toujours dénoncé cette trahison; c'est pour cela que nous avons été mis en prison.

Maintenant, il est bien certain que tout cela va aller autrement.

Notre position a toujours été ferme et nous n'en avons jamais changé : les Palestiniens ont accepté de partager la Palestine. Ils ont accepté que les Juifs aient un État. Ils ont accepté d'avoir, eux, un État avec les frontières de 1967.

Ce n'est plus à eux de faire des concessions, à présent.

C'est Israël qui a volé toute la terre aux Palestiniens. Et c'est la politique israélienne de prendre tous les jours un peu plus de terre et d'installer de nouvelles colonies.

C'est donc Israël qui refuse de faire la paix avec les Palestiniens.

Nous devons agir en fonction de cette situation.

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Je pose ma question autrement : si l'Égypte parvient à prendre son indépendance de l'influence états-unienne et si vous remportez les élections, quelle politique, quelles actions, concrètes, mettrez-vous en oeuvre pour régler la question palestinienne?

Je viens de répondre, déjà, à votre question : nos intentions sont claires et ne changeront pas.

Pour le reste, c'est le peuple qui décidera, si la démocratie advient. Ce ne sont pas les Frères musulmans qui doivent décider. C'est le peuple!

Nous donnons notre position, mais, la décision finale, c'est le peuple qui la prendra.

Qu'ajouteriez-vous, au terme de cet entretien? Quel message souhaiteriez-vous délivrer à l'Europe, pour nous permettre de mieux comprendre le sens profond de la révolution égyptienne?

Toutes ces révolutions, en Tunisie, en Égypte, vont transformer les gouvernements des États arabes.

On va donc avoir un nouveau Moyen-Orient. Et pas celui que voulaient les États-Unis!

Un nouveau Moyen-Orient, plus libre, où les États pourront mener leur propre politique, libérés des influences américaine et israélienne.

Malgré les relations historiques très longues que l'Empire arabe, puis les États arabes ont eues avec l'Europe, l'Europe, aujourd'hui, suit toujours la politique américaine.

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Malgré que l'Europe a plus d'intérêts avec le monde arabe, elle suit toujours les États-Unis et fait ce qu'ils décident pour elle.

Ne serait-il pas temps que l'Europe considère les Arabes comme des partenaires, politiques et économiques?

Ne serait-ce pas mieux pour les deux côtés?

Nous sommes voisins! Tout proches l'un de l'autre!

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En Occident, vous avez peur des Frères musulmans, mais c'est à cause de la propagande de l'extrême-droite et des sionistes... Vos médias et vos politiciens sont à genoux devant le lobby juif.

Khaled Hamza, la "révolution" a chassé le président Moubarak, mais l'armée a récupéré le pouvoir et les anciens partisans du régime sont toujours aux commandes

Comment percevez-vous la situation actuelle en Égypte? La "révolution" est-elle un échec?

Mais comment l'opposition pourra-t-elle faire face à la machine d'État de Moubarak qui, dans les faits, est restée au pouvoir, tandis que l'armée encadre étroitement la population? L'opposition n'est pas organisée. Comment pourra-t-elle relancer la révolution?

Pourtant, lorsque je suis arrivé au Caire, il y a quelques jours, après la chute de Moubarak, j'ai constaté que c'est l'armée qui a fait évacuer la place Tahrir. C'est l'armée qui a arrêté les derniers manifestants qui refusaient de la quitter. Et, en ce moment, c'est elle qui surveille les manifestations. Cela donne l'impression que l'armée veut faire croire qu'elle est avec le peuple, mais, en réalité, qu'elle protège le régime et se tient prête à réagir au moindre débordement. N'êtes-vous pas un peu trop optimistes?

Oui. Vous avez peut-être raison. Mais, si les choses sont ainsi et que l'armée ne laisse pas la révolution aller jusqu'à sont terme, alors, les gens seront à nouveau dans les rues, par millions, et manifesteront jusqu'à ce que leurs exigences soient rencontrées

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Nous ne voulons pas contrôler le parlement. Nous voulons laisser l'opportunité à d'autres partis politiques de s'exprimer. Mais je crois que nous aurons au moins un tiers des sièges au parlement. Au moins, nous serons assez forts pour empêcher les ennemis de la révolution de faire revenir le pays en arrière

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Et les liens de l'armée avec le Pentagone et l'influence que les États-Unis pourraient avoir sur les événements ne vous inquiètent pas?

Les gens veulent maintenant être indépendants de l'administration américaine et l'armée ne peut plus faire ce qu'elle faisait quand Moubarak était au pouvoir, servir les intérêts de l'Amérique et collaborer avec elle, au détriment du peuple égyptien.

Je le répète : si l'armée trahissait la révolution, nous saurions mobiliser des millions de personnes pour reprendre la rue.

Les Frères musulmans sont bien au courant des accords qui avaient été passés entre les États-Unis et le gouvernement égyptien; et nous saurons mettre de l'ordre dans tout cela.

Vous semblez très sûrs de votre force. C'est d'ailleurs ce qui inquiète beaucoup d'observateurs, en Europe, qui craignent l'islamisme et l'instauration en Égypte d'une république sur le modèle iranien. Que leur répondez-vous?

Tout d'abord, qu'il y a de nombreux points de vue différents au sein du mouvement des Frères musulmans.

En Occident, vous avez peur des Frères musulmans, mais c'est à cause de la propagande le l'extrême-droite et des sionistes. En fait, ce sont les musulmans qui devraient avoir peur de ce qui se passe en Occident, c'est-à-dire de l'attitude de plus en plus islamophobe, radicale, non seulement d'une partie de votre population, mais même de vos gouvernements.

Vos médias ne sont pas libres. Vous le savez. Le lobby sioniste est très puissant dans votre pays, la Belgique. Il l'est aussi en France. Nous le savons bien, ici. Nous sommes bien informés. Et vous ne pouvez pas dire ce que vous voulez. Vos médias et vos politiciens sont à genoux devant le lobby juif.

D'ailleurs, en Europe, il y a des lois qui interdisent aux universités de faire de la recherche sur la Shoah et sur les chambres à gaz, non? Ce sont donc vos politiciens qui vous dictent ce qu'est la vérité historique et ce que vous devez enseigner à vos étudiants. Ils vous dictent ce que vous devez croire et penser.

Vous êtes historien. Vous trouvez cela normal? Cette situation vous convient? Vous appelez cela "la liberté de pensée" et "la liberté d'expression"?

Vous-même, n'avez-vous pas eu quelques ennuis pour avoir critiqué les meurtres commis par Israël en Palestine? Vous voyez donc bien que vous n'êtes pas libre de dire ce que vous voulez...

En vérité, nos intentions sont tout à fait démocratiques : nous voulons mener l'Égypte vers la démocratie, uniquement par des réformes parlementaires. Nous défendons la liberté, la liberté de croire et de parler. Et nous défendons la laïcité de l'État.

Tout cela est exprimé sur notre site web officiel, grâce auquel nous espérons combattre l'islamophobie et les mensonges qui sont répandus contre les Frères musulmans.

Il n'y a donc aucune raison d'avoir peur des Frères musulmans. Les Frères musulmans ne sont finalement pas très différents des partis politiques chrétiens que vous avez en Europe occidentale, de la démocratie chrétienne.

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Vous représentez la tendance progressiste de l'organisation des Frères musulmans. Mais il y a les partisans d'une attitude plus radicale, plus traditionaliste. Ne voudront-ils pas, eux, si vous accéder au pouvoir, transformer l'Égypte en une république islamique ?

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Et quelle sera votre position dans le conflit israélo-palestinien, si la révolution aboutit ?

Le XXIème siècle sera-t-il le siècle du monde arabe ?

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Mais l'Égypte peut aussi être un excellent modèle pour les jeunes européens...

*Traduit de l'anglais et de l'arabe.

Nous remercions vivement Messieurs Metwally MOHAMAD (entretien avec Mohamed al-Katatmy) et Abdel Rhaman AYYASH (entretien avec Khaled Hamza), qui ont très aimablement assuré la traduction lors de ces rencontres.

Nous remercions également Son Excellence Monsieur Bruno NÈVES de MÉVERGNIES, Ambassadeur de Belgique au Caire, et Monsieur Patrick HAENNI, Collaborateur scientifique du GRIS (Groupe de recherche sur l'Islam en Suisse), grâce à la courtoise assistance desquels nous avons pu prendre les contacts nécessaires à la réalisation de ces entretiens.

- Tunisie : "tout changer, pour que tout reste pareil".

© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en mentionner la source ( http://pierre.piccinin-publications.over-blog.com ).


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