Des anniversaires mitterrandiens il y en a eu d'autres. Mais celui-là a un goût particulier à un an d'une présidentielle où le vote par défaut à droite comme à gauche a remplacé le vote d'espoir. Et puis, au milieu des reportages, des histoires revisitées, des gadgets (comme cette application pour iPhone !), il reste difficile de ne parler que de cet instant particulier du 10 mai 1981 et de l'incarnation par un homme d'une volonté de changement sans qu'aussitôt l'on nous propose, a posteriori, la clef à déboulonner les statues.
En écoutant un reportage interrogeant des personnes qui avaient voté la première fois en mai 81, je fus surpris d'entendre de vieux schnoques : je réalisais soudain que tout cela est désormais de l'histoire ancienne, bonne pour les manuels scolaires et que moi-même je n'ai peut-être plus mes vingt-trois printemps de ce jour de liesse. Mince alors ! Je ne m'étais rendu compte de rien, je croyais que nous étions dans une parenthèse et c'était un tunnel. Je confondais encore l'histoire et l'Histoire.
Chacun ses vieux schnoques, en 1981 les grands anciens me serinaient avec le Front Populaire, les grèves de 36, les congés payés, la semaine de 40 heures et la nationalisation des chemins de fer (création de la SNCF). En écho, les jeunes adultes, ceux qui avaient "fait" mai 68 alors que nous étions encore dans les cours de récré, nous ajoutaient leur liste de conquêtes. On nous répétait que "sans la lutte, point d'avancées sociales", craignant sans doute que la jeunesse de l'époque, ma jeunesse, n'aille s'étourdir ailleurs (voire s'enivrer rue Saint Anne pour certains d'entre-nous)... Mais moi qui était né au moment du coup d'Etat et qui n'avait connu que la droite pendant 23 ans, je n'avais pas à forcer ma nature pour voter à gauche. Et j'éprouvais alors une sincère admiration pour François Mitterrand. Et même ceux de mes camarades qui répétaient les préventions de la doxa trotskyste contre le représentant de l'Union de la Gauche avaient les yeux qui brillaient. Tous ne s'en souviendront pas par la suite.
En mai 1981 j'avais voté Mitterrand et l'histoire avait bien commencé : abolition de la peine de mort, la suppression du fichier policier des homosexuels (*) puis l'abrogation des lois discriminatoires concernant l'homosexualité, libération des ondes et création des radios "libres", la cinquième semaine de congés, sans oublier - oui sans oublier - la suppression de la justice militaire d'exception (les fameux TPFA, tribunaux permanents des forces armées. Enfin, en 1981 ils étaient fameux, maintenant personne ne s'en souvient, même pas une entrée sur Wikipedia, c'est dire comme l'histoire est oublieuse de certains combats...). Oui, ces premières années furent exaltantes. Et je jubilais d'entendre la droite dépitée exprimer sa haine en prononçant volontairement "mitran" pour désigner celui qui deviendrait vite "Tonton". Après tant d'années sans autre horizon que la continuité, on pouvait chanter comme Barbara (Regarde) : un homme, une rose à la main, a ouvert le chemin etc.
La suite devait laisser place à l'épreuve du réalisme politique, à quelques coups fourrés et à la mise en lumière des parts d'ombre du monarque républicain. Mais je n'ai jamais regretté mon 10 mai 1981. Et trente ans après, c'est à nouveau l'avenir qu'il faut construire, mais avec quels hommes et quelles femmes ? Je voterai en 2012, peut-être avec rage ou passion, mais sans aimer personne.
(*) On oublie trop souvent cet épisode, le fichage des homosexuels remontait à l'ancienne "brigade mondaine". En 1981, j'ai eu la satisfaction de monter dans un taxi en disant fièrement "au ministère de l'Intérieur !". A quelques uns nous avions rencontré le conseiller de Gaston Defferre (Frédéric Thiriez, plus connu aujourd'hui dans le football). A la suite de cette entrevue une circulaire à été diffusée concernant les contrôles d'identité sur les lieux de drague et le "groupe de contrôle des homosexuels" au sein de la police a été dissous (11 et 12 juin 1981). Cette anecdote, aux limites de ce que nous pouvions imaginer quelques mois auparavant, donne la mesure de ce que représentait le 10 mai au moment même où nous le vivions...