A l’initiative d’A Perdre La Raison, une question parcourt les blogs : que retenez-vous du 10 mai 81 ? Dans mon cas, la question pourrait vite être réglée : j’ai raté cette auguste date d’une grosse cinquantaine de jours, peu à l’échelle d’une vie, et paradoxalement beaucoup à l’échelle de l’histoire. Je pourrais donc à bon droit dire que je ne retiens rien de ce 10 mai, ou à la rigueur me lancer dans un récit épique du point de vue d’un embryon, qui a bien dû être influencé d’une manière ou d’une autre par la joie de ses parents. Je me cantonnerai à la vérité.
La vérité, donc, c’est que je n’ai pas vraiment de souvenir clair de Mitterrand avant le deuxième septennat, et ses aspects les moins glorieux. A une vague réminiscence de la réélection de 1988 succèdent la valse des premiers ministres, le rocambolesque gouvernement Cresson, la triste fin avec (et de) Bérégovoy, les manifestations d’infirmières matées au canon à eau, les autocollants du RPR (« Dis papa, c’est quoi l’affaire Urba ? ») sur les murs de ma ville.
Le seul débat dont je me rappelle bien est celui avec Philippe Séguin pour le traité de Maastricht, durant lequel j’éprouvais une crainte diffuse de la victoire du « non », et une certaine empathie pour le vieux président. Ce moment mis à part, et à rebours de ma famille, je ressentais envers le PS et la majorité en place une sourde hostilité, leur attribuant sans doute la responsabilité du marasme économique et social que je percevais ; je me vois encore accueillir avec contentement, devant la télévision, l’annonce des deux claques électorales successives, aux régionales de 1992 puis aux législatives de 1993. Il ne me fallut pas longtemps pour revenir à des positions plus proches de celles qui sont les miennes aujourd’hui. Il me fallut en revanche un peu plus de temps pour me réapproprier ce Mitterrand au sujet duquel ses successeurs réclamaient un « droit d’inventaire ». Ce Mitterrand dont ils firent le procès pendant des années. Autant dire que les célébrations actuelles doivent arracher quelques sourires amers à ceux qui lui sont rester fidèles sans discontinuer.
Au fond, il y a deux façons de considérer et de vivre ce 10 mai et Mitterrand. Il y a ceux qui ont connu l’avant, mesuré les victoires et les révolutions, l’abolition de la peine de mort, les radios libres, les 39H et la 5ème semaine de congés payés, ceux qui ont peut-être aussi encaissé durement les parenthèses, les espoirs déçus, les impasses. Et puis il y a ceux qui sont nés dans un monde mitterrandien, où la gauche au pouvoir était une évidence, et qui depuis courent après cette évidence perdue, rageant de voir la gauche s’éparpiller de petites victoires en grandes défaites.
Ces deux générations politiques vont communier dans la célébration des 30 ans du 10 mai. Comme d’autres, cette célébration me laisse un peu sceptique. Non pas du point de vue de sa légitimité, bien entendue totale, mais de celui de ce qu’elle représente. De ce dont on l’investit. On ne fête pas tant les 30 ans du 10 mai que le souvenir du dernier passage prolongé de la gauche au pouvoir national. On peut trouver un peu étrange la symbolique de ces festivités, que le hasard place à un an du prochain combat électoral pour la magistrature suprême. Comme une métaphore d’une gauche qui a trop souvent cru la victoire acquise avant même d’avoir livré bataille ? On ne pourra pas dire, cette fois, que l’on ne savait pas.
Romain Pigenel
Et vous, ce 10 mai 1981, vécu ou non, quel est votre avis sur ce jour entré dans l’histoire de France ?