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L'éveil d'un sourire (suite) chapitre 1:L'Ecorchée vive Tome 1

Publié le 09 mai 2011 par Aurore @aurore

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Le mariage fut prononcé en 1954, sous le regard approbateur de tante Arlette et de monsieur le maire. La longue robe blanche en mousseline eu un effet éblouissant. La mariée portait un chapeau dont on ne voyait que les fleurs, quand au marié il portait son costume du Dimanche, sauf que son couvre-chef noir le démarquait. Apres la célébration eucharistique, le prête n’oublia surtout pas de donner à la femme la fameuse quenouille chargée de rubans. Elle s’empressa de la déposer aux pieds de la vierge Marie, la priant de lui donner un premier fils. La fête battait son plein, les convives furent nombreux. Tous les habitants du coron avaient participé à la préparation du repas, saucisson divers, fromage, gâteaux sans oublier le vin. Les musiciens et le cornemusier s’avancèrent sur l’estrade montée par la mairie pour cette occasion sur la place principale « Jean-Jaurès ». Nos jeunes mariés ouvrirent le bal sur une valse, au moment de la « bourrée » ils s’éclipsèrent à pas feutrés vers le logis paternel, seul endroit pour les accueillir. Ils eurent quatre enfants, Féliks, Zina, Flore la cadette, et Eva la dernière.

   Ils quittèrent cette région afin de construire leur nouvelle vie, loin des images noires que la guerre avait laissées. Leur maison se trouvait dans la rue Parmentier à Moulins dans l'Allier, au cœur du Bourbonnais, ville d'un beau Jaquemart qui sonnait le glas, mais aussi ville de passage de Jeanne d'Arc, dont une flèche était restée dans le mur de l'ancienne prison. Silencieuse et endormie, elle était enrichie d’histoire qui avait vu naître en ses murs le Duc de Villars en 1653, mais aussi Richard Bohringer en 1941. Elle possédait des monuments classés, comme sa cathédrale qui s'élevait, majestueuse, et dont sa renommée était mondiale. Un triptyque en faisait sa fierté.

   C’est ici que commence mon histoire. Ma mère était très active. Chaque jour, on l’entendait vaquer vers 4 heures du matin. Elle attendait le départ de notre père pour nous donner, en cachette, un morceau de pain et du sucre.

   « Réveillez-vous, l’heure sonne, qui veut du sucre ?  Dépêchez vous de vous lever, de vous débarbouiller le visage à l’eau froide et de prendre votre lait, mes chéris. Vite...Vite, nous allons être en retard. »

   Bien que notre école maternelle fut à proximité et facile d'accès à condition de bien faire attention à la voie ferrée, j’appréhendais toujours les longues conversations des maîtresses à notre sujet. A leur intonation et leurs regards posés sur nous, il me semblait ressentir quelques compassions dans leurs yeux. Souvent, elles chuchotaient à voix basses, comme si qu’elles craignaient qu’on ne les entendît. Cependant, Les heures coulaient, heureuses, surtout celle tant attendue du milieu de la matinée car des biberons de jus d’orange nous attendaient.

   Jours lointains de bonheur, comme ils étaient chers à mon cœur !   

   Après la classe, seul, Féliks avait l'autorisation de se rendre dans l'unique petit magasin du coin de la rue, chez le marchand de fruits et de vin. Quelque fois, je le suivais discrètement, comme un chat qui suit sa proie.

   « Attends-moi, Féliks », criais-je derrière lui qui était déjà loin. Furieux, il se retournait : « Rentre à la maison sinon maman va te gronder. » Je n’avais pas envie de l’écouter et faisait mine de pleurer. « Arrête de pleurnicher, je ne dirais rien, toi non plus d’ailleurs. Allez, viens et surtout n’en parle pas ».

J’étais aux anges de faire cette escapade avec mon frangin que j’adorais.

   Un jour, la tentation fut trop forte, un étalage de pomme m’attira plus qu’à l’ordinaire que j’en mis une dans ma poche sans prendre garde si l’on m’avait vu.

   « Voleuse, petite gamine, je vais appeler ta mère ! Elle me la réglera, et toi, tu recevras une correction, histoire de te dresser.»

   Je détalais à toute vitesse, prenant mes jambes à mon cou. Mon frère me rattrapa très vite.

   « Viens là, Flore, donne moi cette pomme que je la rende. Te rends-tu compte que tu deviens une voleuse ? Que va dire notre mère ? J’ai honte de toi ! »

   Ma joue reçut sa main. Une vraie course poursuite s'engagea, et je devins pour le reste de la journée, l'enfant isolé de la famille. Le cœur de ma tendre mère me pardonna enfin dans la soirée. Il était l’heure pour nous de se laver. Marilyn se munissait d'une grande cuvette en inox, remplie d’eau, qu’elle avait pris grand soin auparavant de faire bouillir, et la déposait à même le sol, dans la petite cuisine.

   « Aujourd’hui, ce sera le tour d’abord de Zina, puis d’Eva et de toi Féliks, et puisque Flore nous a fait des bêtises, elle passera la dernière. »

   Je n’aimais pas être la dernière, la cuvette étant trop lourde à porter pour ma mère, l’eau devenait froide et sale.

   Assis sur un tabouret, nous attendions notre tour, sagement. Marilyn frottait nos corps avec un gros savon noir, elle frictionnait nos dos de tout son amour. Avec une unique serviette de bain un peu râpeuse et vieillie par le temps, elle nous séchait. Elle semblait heureuse, la mère, sa voix était tellement claire et si apaisante.

   « Féliks, quand auras-tu fini à cinq ans de faire pipi au lit ? Rien ne va. Te rends-tu compte du travail supplémentaire que tu me donnes à chaque fois que de laver tes draps à la main dans la grande bassine ? Tu seras toujours la risée de tes sœurs, et elles auront raison de se moquer de toi ! Mais quand te lèveras-tu de ton lit mouillé? »

   Il hurlait à chaque passage du gant de crin, alors que mes sœurs et moi nous riions ! C'était devenu un vrai rituel. Lorsqu’il faisait beau temps, le petit jardin se transformait en salle d'eau, un endroit agréable où j’aimais flâner, sentir les feuilles et les fleurs et me rouler dans l'herbe. Nos jeux de cache-cache ou chat perché ravissaient le cœur de la maisonnée. Les mots de mamounette résonnaient avec douceur. C’était notre joie, notre rayon de soleil. Ses moindres gestes devenaient des figures de ballets. Je la suivais, je l'admirais. J'étais comme son ombre. Je ne voulais jamais m'en séparer! Elle disait souvent que j’étais la plus collante!

   Nous l'aidions, de notre mieux, dans le ménage quotidien qui n'était pas notre fort. J’étais près d'elle, je discutais avec elle, je lui posais tout plein de questions lorsqu’elle lavait notre linge. Je m’'accrochais à ses jupons, aimant l’odeur de la lessive, et surtout les bulles qu’elle faisait exprès de laisser tomber. Je les rattrapais en me hissant sur le petit tabouret en riant, ma tendre mère m’aspergeait avec douceur. J’étais toujours prête à me rendre utile. Quelque fois, un klaxonne retentissait dans la rue. Alors elle laissait tomber son ouvrage.

  

« Surveille l’eau, Flore, c’est M. Martin qui nous apporte les nouvelles. Je reviens. »

  

   Circulant à bicyclette, de maison en maison, le colporteur nous proposait des revues et des queues de lapins. Il marquait toujours sa présence au portail d'un coup de sifflet, Ma mère le guettait avec impatience. D’un geste rapide, elle renversait sa tête tout en ébouriffant ses cheveux roux. Telle une crinière au vent.

   « Madame Crespin, que vous voilà bien rayonnante ! J’ai pensé qu’une livre de beurre vous plairait en plus des lapins habituels. 

   - Parlons doucement, les enfants nous entendent et nous surveillent derrière la haie. J’ai quelques couteaux à vous donner. »

   Marilyn avait tout préparé sous son grand tablier blanc.

   « Bien, joli m’dame. Quelles sont les nouvelles ? J’ai choisi de vous parler de Ben Hur. Je ne l’ai pas vu. Mais déjà, il a remporté trois oscars au festival de Cannes : meilleur Acteur pour le beau Charlton Heston, meilleur film et meilleur réalisateur. Vous le verriez, à vous en faire rêver. 

   - Vous aiguisez bien les couteaux, mais j’avoue aussi ma curiosité, racontez moi ! 

   - Ah ! Je ne peux pas tout vous dire, mais cela se situe au temps de Rome, de Jules César, de Jésus Christ, une grande saga, dit-on. Un film avec des milliers de personnages. Et les costumes, faut voir ! Que du grandiose, il parait. J’ai aussi une autre nouvelle qui vous fera grand plaisir, madame Marilyn. Vous souvenez vous de votre amie Céline ?

   - Oui, oui, racontez!

   - Eh bien, je viens de passer chez elle et elle ma contait son histoire. A dire vraie, une histoire fortement désolante, curieuse et pénible. Saviez-vous qu’elle revient de loin ? Des camps de concentration de Stiegau. Elle m’a tout raconté. Son père fut arrêté par dénonciation tout simplement parce qu’il avait donné à manger à un Anglais. La jalousie fait beaucoup de tort des fois, mais que faire si ce n’est que de se taire. Quelle terrible histoire, écoutez la suite. Lui et sa famille, dont Céline, ont du monter dans un train, cependant, à cette époque, encore enfant, elle regardait avec les larmes aux yeux ces braves gens entassés dans les wagons à bestiaux. Leurs bras pouvaient à peine sortir, leurs mains se tendaient. Ils criaient « à boire, à boire... » A leur arrivée, elle avait vu les enfants et les femmes séparées des hommes... elle avait vu qu’ils portaient comme des pyjamas zébrés. Eux, disaient les nazis, étaient des réfugiés politiques, des patriotes résistants, donc leur cas fut différent. Ils étaient quand même entassés dans des baraquements. Pour nourriture, ils avaient une gamelle d’eau chaude, un trognon de pain et un quignon de pain noir et la couche de la petite recevait à chaque instant de l’eau qui tombait de je ne sait où. Les femmes et les enfants devaient travailler dans les carrières. Les plus jeunes arrachaient les pissenlits, les mauvaises herbes. Qu’il pleuve ou qu’il fasse très chaud, ils devaient sans relâche courber le dos et encore plus devant cet ennemi puissant. Les mains des enfants grattaient le sol jusqu’à ce qu’elles deviennent rouge sang, certains d’entre eux s’écroulaient par tant de fatigue. Céline me disait... me disait « aufster » ce qui signifia « allez debout » en donnant des claques retentissantes. « Maintenant tu auras chaud aux mains » Beaucoup de gens furent libérés par les russes, cependant beaucoup de soldats allemands se réfugiaient dans leur famille pour ne pas être condamnés. On ne savait plus qui était qui. Elle m’a raconté qu’ils marchèrent durant plus d’une semaine le jour comme la nuit. Ils avaient comme seul breuvage un peu d’eau. C’était la débâcle. Pour rentrer au pays, il fallait attendre le convoi. Mais c’était interminable, son père qui eu de bonne relation avec le curé du village fut tenu au courant d’un prochain départ via Strasbourg. Malheureusement, leur long et périple trajet était loin d’être terminé. Ils furent acheminés dans une aire de rapatriés, la gare de Moravie. Ici aussi, ils durent attendre 2 à 3 mois. C’est là qu’ils s’aperçurent que ton amie était atteinte d’une thrombose pulmonaire. Ah, là, là ma petite dame, quel drame ! Quel drame ! Si jeune et si innocente. Heureusement, qu’elle a rencontré son époux. Vous le verriez, il est à ses petits soins, je vous le dis. Et si amoureux que cela en est beau, tendre à voir. »  

   Les discussions allaient bon train, car c’était lui qui nous délivrait les nouvelles du jour, comme un vrai journal qu’il nous était difficile d’obtenir car trop cher pour les revenus aussi modestes de notre famille. Le rémouleur côtoyait tout et tout le monde, il savait tout et connaissait tout. Ainsi il nous racontait les plus belles histoires de nos quartiers, mais aussi les plus terribles. Il était comme un reporter. Les jours de fêtes, il s'équipait d'une machine dans laquelle étaient insérés des cartons à trous, et lorsqu'il tournait une manivelle des sons magnifiques en sortaient. Un doux rêve comme dans les plus beaux contes, comme si que nous assistions à un concert dans notre belle Basilique ! Mère nous affirmait que tous les objets qu’il vendait, avaient la magie des bienfaits. J'aimais bien cet homme.

   Mon père, attiré fortement par la chasse, avait positionné au mur, en guise de décoration, plusieurs fusils et épées sur un tissu feutré de couleur rouge. Ce décor semblait étrange, comme si qu’il venait d’un autre monde, tout en dégageant un certain mystère devant la nudité murale. J’avais tendance à monter sur une chaise pour les toucher au risque d’en tomber. Il me l’interdisait avec colère.

   Certaines fois, certains dimanches, alors que les promenades avec lui étaient rares, il partait, loin de la ville et de notre maison, en m’imposant, ainsi qu’à mon frère, de l’accompagner. Elles semblaient si étranges, ses promenades ! Dans une caravane isolée, entourée d’arbres, se trouvait une dame aux cheveux longs noirs, mal coiffés, une large ceinture à la taille, un collier énorme qui laissait deviner une poitrine généreuse. Elle portait une longue jupe fleurie. Elle était bien différente de notre mère. Elle semblait heureuse de s’élancer vers lui, comme si que le temps leur appartenait. Soudainement, il nous prenait par la main, nous poussant à grimper à l’arrière.

   « Soyez sage et ne venait pas nous déranger pour un oui ou un non. Enfin taisez-vous, je ne veux entendre qu’une mouche voler ! ».

   Accroupis derrière une banquette, nous attendions sans rien dire et sans oser même respirer, tout en entendant de drôles de bruits.

   « J’ai peur, j’ai froid, Féliks.

   - Chut, tais-toi, il va nous entendre. Ne dis rien, petite sœur, et surtout ne raconte rien à maman, sinon de vilains gens viendront nous chercher. »

   Alors des larmes coulaient de mes yeux verts. Une heure puis deux passaient à rester ainsi sans bouger. Nous regagnions notre demeure sous l'œil inquisiteur de la madone. A voix basse, nous parlions de ces heures, sans réellement en saisir le sens. Nous étions muets devant le chef de famille, son allure petite et robuste ainsi que le ton de sa voix rauque nous intimidaient. Très tôt le matin, il quittait la maison. Le soir, comme d'habitude, éreinté par sa journée de travail, il rentrait, fatigué. Il s’en fallut d’une fois, d'une seule fois... et tout basculât.

   Marilyn, ma mère, choquée de ce qu'elle avait vu étant enfant et malgré le soutien de mon père et de son entourage, sombrait parfois dans un coma que nul ne pouvait comprendre. Alors durant ces moments, elle rendait visite à ma grand-mère à l’hôpital qui se situait guère loin de chez nous. Elle passait de long moment avec elle.

   D’ordinaire, elle faisait avec papa, de la gymnastique dans leur chambre, des explosions de bonne humeur dans leur intimité... Ce soir-là, les paroles s’élevèrent si fortes que brutalement mon frère ouvrit, avec violence, cette porte qui nous était interdite. Le miroir nous refléta le visage de mère, défait et crispé par la douleur. Une chemise de nuit revêtait légèrement son corps. Les cheveux pêle-mêle, elle gisait, sur le sol, au carrelage rouge brique, en pleure et en sang. Le visage de mon père indiquait sa colère. Féliks entra le premier. Nous l'aidâmes à se relever, tandis que notre père sortait de la pièce, fou de rage. Nous l'allongeâmes sur l’un des deux petits lits en fer de notre chambre. Elle était étendue là, entourée, ses enfants, agenouillés et en larmes. Un liquide coulait de son front.

   « Petite maman chérie, ne pleure pas, nous sommes tous autour de toi » dit Eva tremblante.

   Ma mère tourna doucement son regard vers nous, affirmant que cela n’était rien, qu’il fallait oublier, que notre père était un brave homme. A partir de ce jour, le visage de notre tendre mère devint sombre. On aurait dit qu'un automate avait pris place dans son esprit. Féliks, n’en pouvant plus de voir maman pleurer, se munit d'un rasoir, se tailla le bras et celui de ma sœur Eva. Papa arriva à ce moment précis. Tout s'arrêta. Leurs années de bonheur dura 8 ans !

   La famille était déchirée, dissoute à jamais.

   Un gros cadenas fermait le portail sur lequel il était écrit : à louer. Nous étions là, impuissants devant ce seuil, main dans la main. Nous ressentions un danger. Pour moi, mon frère Féliks, Eva et Zina, tout devint obscur. Des gens que je ne connaissais pas vinrent nous chercher. J’étais vêtue d'une robe blanche, et je portais un passe de fleurs blanches dans mes cheveux et de jolies sandalettes. Entourée de deux femmes inconnues, je me hissais à grande peine dans une voiture. A la vue de ma sœur aînée, Zina, déjà installée, je me sentais rassurée. Au loin, je voyais le regard douloureux de maman. Après un timide au revoir et un baisé déposé dans le creux de ma main, elle disparut. Ce fût notre dernier échange.

   A trois ans et demi, je devais fermer les portes de mon cœur à cet amour que jamais je n’aurai, celui de ma mère, Marilyn.


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