Les auteurs ressentent parfois le besoin ou l'envie de confronter leur héros récurrent à un nouvel environnement géographique. Outre le dépaysement, qu'ils quittent leur campagne, leur ville ou leur pays pour aller ainsi à la rencontre d'autres cultures, d'autres codes, peut susciter un regain d'intérêt pour le lecteur qui a plaisir à suivre les aventures des personnages auxquels il s'est attaché. A titre d'exemple et pour bien illustrer que le phénomène est loin d'être isolé, on peut par exemple citer Donald Harstad avec 6 heures plus tard (Carl Houseman quitte sa petite ville des Etats-Unis pour Londres, rien que ça), Henning Mankell avec Les Chiens de Riga (Kurt Wallander s'en va pour un voyage des moins réjouissants pour la Lettonie ; ambiance à couper au couteau), Charles Exbrayat avec Chewing-gum et Spaghetti (l’inénarrable inspecteur Tarchinini s'en va aux States), Craig Johnson avec L'indien Blanc (Walt Longmire quitte momentanément le Wyoming et ses grands espaces pour Philadelphie), sans oublier Jo Nesbo qui, avec L'Homme Chauve-souris, a fait voyager Harry Hole de la Norvège à l'Australie dès sa première enquête. La liste n'est bien sûr pas exhaustive, sans compter qu'on peut donc dès aujourd'hui lui rajouter la dernière enquête en date de Harry Bosch, intitulée Les Neuf dragons, dont une partie de l'action se déroule à Hong-Kong.
Pour être très franc, le célèbre personnage inventé par Michael Connelly, ne fait pas partie de ceux que j'ai toujours plaisir à retrouver. Je n'attends pas ses apparitions avec une fébrile impatience comme c'est par exemple le cas pour les romans de Jonathan Coe ou Dennis Lehane (cette année a décidément été très bonne!). Je crois d'ailleurs savoir pourquoi. Si l'auteur américain m'a souvent ébloui par sa force narrative, par la manière dont il trousse ses intrigues et nous les sert sur un plateau avec un art consommé de la surprise et du rebondissement, Harry Bosch, lui, m'a plus d'une fois agacé ou énervé par son attitude systématique de chien blessé, par son aspect désabusé quelque peu stéréotypé. Vous me direz, avec son histoire personnelle, il y a de quoi... mais bon, si j'ai frémi avec lui, il me semble que c'est surtout en raison des situations auxquelles il a été confronté que pour une quelconque histoire d'empathie à son égard.
Et voilà qu'au moment où dans les Neuf dragons, je me mets à le considérer d'un autre œil, c'est cette fois-ci l'intrigue qui fait cruellement défaut. J'ai régulièrement eu le mot « remplissage » à l'esprit à mesure que j'avançais dans la lecture. Peut-être n'aurais-je pas dû lire la quatrième de couverture, je ne sais pas. Quoiqu'il en soit, il faut un peu plus d'une centaine de pages pour arriver au début de l'intrigue présentée par le résumé. On y trouve des scènes sans grand intérêt et des perspectives très à la mode relatives aux expertises en laboratoire, du type qu'on ne présente même plus et dont la télévision se fait la plus navrante représentante avec ses séries consacrées aux brigades scientifiques. Ici aussi, on a droit aux toutes dernières trouvailles en balistique et à leur présentation dans le détail pour les besoins de l'enquête. Une enquête qui s'enlise dans les descriptions et les invraisemblances. C'est d'ailleurs le plus gros reproche que l'on puisse faire à ces Neuf dragons, où le voyage de Bosch à Hong-Kong relève plus du prétexte que d'une réelle nécessité. Ce constat saute d'autant plus aux yeux une fois l'affaire complètement éclaircie. Difficile alors de ne pas la trouver complètement tirée par les cheveux.
Pour tout dire, j'ai nettement eu l'impression que Michael Connelly, le temps d'un roman, avait troqué les ficelles qu'il utilisait jusqu'à présent avec une réelle virtuosité contre celles, plus grosses, qui empêchent la magie d'opérer.
N.B. : C'est assez rare pour que ça me saute autant aux yeux mais du coup je n'ai pas pu m'empêcher non plus de m'interroger sur la traduction. Des phrases à la structure étrange et des répétitions qui, pour la peine, m'ont semblé bien malvenues et parfaitement évitables.
Les Neuf dragons, Michael Connelly,traduit de l'américain par Robert Pépin, Seuil (Seuil Policiers)