Notre corps se transforme, nous achetons des chaussures plates, nous nous coupons les cheveux. Nous commençons à trimballer dans nos sacs des biscottes grignotées, un petit tracteur, un bout de tissu mâchouillé et adoré, une poupée en plastique. Nous perdons tonus musculaire, sommeil, faculté de raisonnement, perspective. Notre coeur vit hors de notre corps. Les enfants respirent, mangent, rampent et ... regardez ! Ils marchent et se mettent à nous parler. Nous apprenons à avancer centimètre par centimètre, à nous arrêter pour examiner chaque bâton, chaque caillou, chaque boîte de conserve écrasée qui jonche le chemin. Nous nous habituons à ne plus fréquenter les endroits que nous aimions. Nous apprenons peut-être à cuisiner, à repriser, à poser des poches aux genoux des salopettes. Nous nous habituons à vivre avec un amour qui nous submerge, nous étouffe, nous aveugle, nous enchaîne. Nous vivons. Nous considérons notre corps, notre peau distendue, les fils argentés sur nos tempes, nos pieds curieusement plus larges. Nous apprenons à moins nous regarder dans la glace.[...] Nous ne supportons plus les retards des bus, les gens qui se bagarrent dans les rues, ceux qui fument dans les restaurants, les rapports sexuels passés minuit, l'inconsistance, la paresse, le froid. En croisant des jeunes femmes, nous remarquons leur cigarette, leur maquillage, leur robe moulante, leur sac minuscule, leurs cheveux soyeux, et nous nous détournons, baissons la tête et poussons notre landau en haut de la côte."
Extrait de Cette main qui a pris la mienne de Maggie O'Farrell
Je me régale, indubitablement.