Les enfants sont la mémoire des hommesDe Louise Gaggini,
Paris, éd. Multitudes, septembre 2007, CD audio offert à l’intérieur
A partir de 37,05 € sur Amazon.fr
L’histoire du passage du monde d’une équation à une autre. De « 1+1 = 3 » à « 1+I au carré = 0 ». C’est là la meilleure façon de présenter Les enfants sont la mémoire des hommes, de Louise Gaggini dont les bénéfices des ventes seront adressées à l’UNICEF. Ce « conte philosophique » qui s’adresse aux adultes est illustré par l’auteur lui-même dont les tableaux ont une double fonction : ils activent l’imagination en représentant le sens dans sa totalité et servent de miroir qu’il faut traverser pour renaître. Par ailleurs, un C.D. audio accompagne cet ouvrage. Le public peut ainsi écouter l’histoire racontée oralement.
"Simplement heureux". Dans sa quête de l’art total, la descendante du sculpteur sicilien du XVIème siècle, Antonello Gaggini, raconte, sans sombrer dans le pathos, l’immergence de l’humanité dans le chaos et son émergence espérée. Pour ce faire, l’auteur s’appuie sur le récit biblique qu’elle dévoie à de nouvelles fins. Notre histoire commence donc avec un roi et une princesse qui « étaient vraiment particuliers. Ils n’avaient pas besoin d’apprendre les choses, ils les savaient et c’était tout. » Ce qui suffisait amplement à leur bonheur. Les illustrations de ce temps sont des miniatures de tableaux figurant des espaces ouverts et bleus. Pas à pas, le monde s’emplit sans se départir de sa joie d’exister car « Les hommes et les femmes faisaient des rêves d’enfants et les enfants, évidemment, faisaient des rêves d’enfants. »
Quand l’imposture prend valeur d’éthique, le chaos se manifeste, expulsant les enfants du monde : « Peu à peu et inexorablement pourtant, le livre des hommes grignota le livre des légendes. » Louise Gaggini dépose ce qui semble former des preuves contre « le monde des hommes » : « Clonages, rapts, violences, guerres, argent, pouvoir, manipulations, meurtres… ». Face à ces récits, dans les tableaux de l’auteur, des coupures du journal Le Monde – le choix du titre n’est pas fortuit – font leur apparition. Plus on avance dans le conte, plus ces coupures prennent de l’ampleur jusqu’à évincer toute forme de rêve. Et le dernier enfant de s’interroger : « Les hommes ont des lunettes/ et des grands parapluies./ Les parapluies sont pour la/ pluie, mais les lunettes ? »
Pour en finir avec le déluge. L’enfance est forcée au silence, à la disparition. Elle laisse un monde en « dissolution » où « La peur avait pénétré les hommes qui avaient, étrangement et avec la même intensité, à la fois peur de vivre et peur de mourir. » Sous un ciel toujours pluvieux, est accompli ce que Paul Ricœur nomme « l’effort de mémoire ». « Le monde des hommes » se remémore la diversité des choses qui suffisait à son bonheur : « Dans le noir qui les entourait, ils commencèrent à se souvenir combien le bleu était beau. Ils se souvinrent de la lumière, des fleurs, des arbres, du soleil et de taches de rousseur. » Le mur de l’histoire est alors percé par la parole légendaire, utopique, imitant le style métaphorique de la Bible : « le roi de “Il était une fois” ramena à leur mémoire une phrase du livre des légendes ;/ “J’ai placé devant toi une porte ouverte que nul ne peut fermer…” (…) Alors si les enfants vivent, un jour les hommes auront des ailes, et ce jour là c’est sûr, le monde sera beau… » car « seule l’utopie unique des enfants, dont tu as été, te sauvera de tes combats douteux. »
« Être tout ». A la fin de son ouvrage, Louise Gaggini inclut une courte autobiographie. On y apprend sa filiation au sculpteur italien Antonello Gaggini, mais aussi son enfance marquée par l’anorexie. Adulte, elle comprend qu’elle n’est entière que pour les enfants qui ne la réduisent pas à son origine juive : « Que je sois chrétienne, musulmane, juive, italienne, gitane ou je ne sais quoi, ils s’en fichaient. Entre eux et moi c’était une histoire d’amour. » Elle est là la motivation du beau conte en mesure de prétendre à l’entièreté artistique Les enfants sont la mémoire des hommes. Louise Gaggini explique son travail : « Peindre et écrire pour que dans un monde où les exactions sont choses communes, on n’oublie pas de transmettre aux enfants, la beauté, l’art de vivre et l’art d’aimer. » Belle revanche pour l’enfance qui, pour une fois, reprend le dessus sur les hommes à qui elle apprend comme il est facile d’être heureux.
Article original écrit et publié par Ali CHIBANI