La prestation télévisée de Monsieur Elbéji Qâyd Essebsi, Premier Ministre du Gouvernement intérimaire de la Tunisie révolutionnaire, en cette soirée de Dimanche, du 8 Mai 2011, est venu rappeler, à ceux qui se donneraient le moyen de le comprendre, que la politique est une pratique artistique à part entière et non « l’exercice d’un pouvoir » que l’on convoite ou que l’on tient à garder.
Je précise toutefois que je parle d’un homme dont le passé politique lui permettrait de dire avec Pablo Neruda : »j’avoue que j’ai vécu » pour signifier que son retour imprévu aux affaires ne pourrait être pour lui que l’occasion d’ancrer la révolution tunisienne dans son identité propre. Et ce, en la sauvegardant des agissements fortement intéressés de ceux qui croient qu’une révolution sans chef est en manque de projet et ambitionnent, chacun selon les moyens qui lui sont propres, de lui en offrir un dont la réalisation passe nécessairement par « l’exercice du pouvoir ».
Cette remarque préliminaire, je la fais pour désigner le lieu de cette prise de parole, voulue témoignage d’artiste dont le sens éthique s’inscrit nécessairement en dehors de « l’espace politicien », au sein duquel l’action de ceux qui en sont les acteurs, est souvent mue par la « volonté de puissance » non pas au sens authentiquement nietzschéen du terme mais tel qu’il se révèlera dans son interprétation nazie.
Comme on le voit, mon discours ne consent point à une quelconque obligation de résultat qui consisterait à vouloir se faire comprendre par une quelconque majorité d’ »électeurs ». En plus du fait qu’il se veut témoignage pour un homme qui n’a pas d’avenir politique du fait qu’il n’en a pas besoin.
Trois personnages (il ne s’agit pas, à ce niveau d’analyse voulue esthétique de personnes) se dégagent de cette performance, en plus des trois comparses qui, eux aussi, chacun à sa manière, témoignent de différents niveaux de maturité professionnelle atteints par nos journalistes. Trois personnages qui symbolisent à mes yeux les différentes phases de l’histoire de la Tunisie d’après l’Indépendance.
Conformément à cette approche esthétique, le passage entre les trois phases n’est pas marqué, comme on peut le supposer par des points de rupture que seraient les « changements » survenus dans le lieu d’exercice du pouvoir. Même si je me dois de préciser, que la succession dans la durée de ces événements, n’exclue pas l’existence entre les trois phases de « différences de qualité » dont on doit tenir compte pour toute évaluation objective des réalités sou jacentes auxquelles elles revoient. Cette différence de qualité se retrouve donc également au niveau de ces personnages que cette analyse considère comme étant « représentatifs » de ces trois étapes d’évolution politique de la Tunisie contemporaine.
Le premier de ces trois personnages est représenté par Béji CaÏd Essebsi qui fait fonction à la fois de narrateur et d’objet de narration de cette performance dont il est l’artiste. Parmi les trois personnages en question, il est le seul à « mériter » d’être qualifié d’artiste pour la raison bien simple qu’il est la seule personne , parmi les trois, dont la maîtrise, lui permet de transcender le champ politique (en tant que lieu d’exercice du pouvoir et d’opposition à celui qui l’exerce) et de faire accéder sa pratique au niveau du « politique ». Ce qui le place à un niveau qualitativement différent de celui des deux autres personnes dont les noms sont évoqués au niveau du débat.
Conscient de sa différence de qualité, le Premier Ministre, pour transitoire qu’il se plait à le rappeler, a tenu dès le départ à préciser avec énergie que le pouvoir dont il dispose, il doit l’exercer en toute responsabilité entière et donc nécessairement souveraine. Comme il l’avait déjà annoncé, en toute clarté, dès sa première conférence de presse depuis sa désignation à son poste, il a tenu à rappeler aussi qu’il est un disciple de Bourguiba. Comme pour informer ses interlocuteurs, non pas de son appartenance à une quelconque « famille politique » mais sur un lieu symbolique où il ancre sa parole pour lui donner un sens bien particulier, celui d’un mode de penser bien de chez nous et dont les effets libérateurs ne sont pas étrangers à ce que l’on trouve de particulièrement beau à la Révolution tunisienne du 14 Janvier 2011. Cela lui permet de se distancier, en se particularisant, et de se dégager de la vision propre aux médias, « généralistes-fourre-tout » et peu soucieux de nuances. D’où l’on comprend son refus énergique de parler de l’un des deux autres personnages, parce que jugeant, peut-être inqualifiable le fait que ce dernier revendique aujourd’hui, comme « étant nationaliste » la pratique de la magouille professionnelle à laquelle il a eu recours, dans les années 80 pour « faire cadeau » à son peuple d’un dictateur qui s’est révélé, comme lui, sans foi ni loi.
On l’aura deviné, la première phase de l’histoire de la Tunisie indépendante, est représenté dans cette soirée performance, par Si El Béji lui-même, témoin vivant d’une période héroïque dont la classe politique était constituée d’hommes de la trempe de Hédi Nouira, Ahmed Ben Salah, Ahmed Mestiri, Driss Guiga, Mohamed Masmoudi, Béchir Ben Yahmed, Chedly Klibi Taieb M’hiri, Mongi Slim et beaucoup d’autres que Bourguiba avait engagés, très jeunes, dans la gestion des affaires politiques du Nouvel Etat. Une période, au cours de laquelle la Tunisie aura su négocier ses grands tournants et résoudre ses crises de croissance par des moyens politiques, où le souci de démocratie n’était pas absent de l’horizon de tous jusqu’au moment où Bourguiba vieillissant, sa succession allait devenir le centre de préoccupation de loups jeunes et moins jeunes qui se disputeront les faveurs d’un homme malade, livrée à lui-même, par la volonté collective de ses courtisans.
C’est à cette période politiquement incertaine, qu’apparait notre second personnage dont le père était entrepreneur en bâtiment de son état et qui lui, va se trouver une vocation « d’intermédiaire-entremetteur-spécialiste-en relations-publiques-occultes » et « communicateur-intergroupes » entre les différents concurrents, dans la course pour la succession.
Comme, par hasard, c’est au plus faible et au plus isolé parmi eux qu’il va offrir ses services en premier…pour l’utiliser en vue de créer par la suite sa propre entreprise de promotion politique, spécialité unique en son genre et qui consiste à occuper ses différentes connaissances au sein du personnel politique, par les liens qu’il fait semblant de tisser entre eux, pour promouvoir « miraculeusement » un sien cousin, général de son état et lui permettre de rafler la mise, au vu et au su de tout le monde.
Un régime instauré par la magouille ne peut qu’amplifier cette pratique dont le bénéficiaire principal, comme dans toutes les histoires sordides, finira par se retourner contre son promoteur. L’histoire de ce dernier aurait pu se terminer à l’époque où il s’était fait évincer, en tant que « tireur de ficelles » des coulisses du pouvoir mafieux du « Cousin Président » emporté, désormais, par ses amours « nocturnes » et sa cupidité sans limite.
Mais il semble que le Sieur en question ait été tenté de reprendre du service, après la Révolution. Et ce, en commettant l’erreur fatale d’approcher le plus faible et le plus naïf des patrons que notre appareil national de sécurité ait eu depuis l’Indépendance. Contrairement à ce qu’il a déclaré, notre personnage « communicateur inter politique » semble avoir, effectivement, émis le souhait de rencontrer le ministre novice qui a pris peur et s’est mis à fantasmer sur l’existence d’un « gouvernement de l’ombre », même après la prise en main de la situation de transition par Béji Caïd Essebsi , objectivement décevante pour tous les magouilleurs d’avant et d’après le 14 Janvier 2011 . Etant fin magouilleur et pas du tout politique, il s’est même permis le luxe, dans sa première réaction aux propos du ministre novice par qui le « scandaly » arrive, de commettre l’erreur fatale, de critiquer en direct les choix de ce dernier en matière de gestion du personnel sécuritaire d’un Ministère stratégique de souveraineté dont il affichait à l’antenne connaitre les rouages, en citant nommément ses hauts responsables. D’aucuns trouveront irrévérencieux à l’égard du Gouvernement dans son ensemble, qu’un entrepreneur de triste mémoire, affiche, sur « Radio Shems FM », son ingérence dans le fonctionnement de l’un de ses ministères qui ne cesse depuis la Révolution d’être au centre de ses préoccupations. C’est aussi dangereux que les propos du ministre frileux mais avec l’insolence en plus.
Mais si le second personnage, l’entrepreneur en promotion politique, peut se targuer d’avoir été le producteur du dictateur, le troisième quant à lui, juge de son état, réputé propre et ministre par accident est le symptôme de l’état que l’on peut dire dramatique, du désert politique, provoqué par « la mise au coma intellectuel » de la majorité des Tunisiens, durant plus de deux décennies. Car je ne pense pas que notre candide ex-ministre provisoire soit moins doué, en matière de gestion politique d’une révolution qui reste à mettre en valeur et qu’il ne faut surtout pas »achever », que tous les opportunistes et aventuriers de tous poils qui cherchent à le transformer en victime, pour les besoins de leurs causes qui n’ont rien de révolutionnaires. Pour un grand nombre d’entre eux ils ne sont que des « kadhafi(s) en puissance, en manque d’une chance historique qu’ils cherchent à tenter par les temps qui courent et qu’ils ont peur de ne pas pouvoir rattraper, avant le 25 juillet 2011.
Naceur Ben Cheikh