Eric Bonnargent, mon complice du blog L'Anagnoste, présente Le Pourceau, le Diable et la Putain. En vertu d'un certain souci déontologique, il ne s'agit donc pas d'une critique au sens traditionnel du terme, mais d'une présentation du livre.
Dans sa chambre d’hôpital, abandonné de tous, Léandre d’Arleboist, l’auteur du célèbre Le Misanthropisme est un humanisme se meurt. Immobilisé sur son lit, M. Léandre, comme l’appelle Géraldine Bouvier, son infirmière, contemple l’agonie d’un cloporte. Tout en méditant sur l’inutilité de toute résistance contre l’inéluctable, Léandre d’Arleboist se remémore sa vie, tout entière consacrée à la détestation du genre humain. Et comme misanthropie bien ordonnée commence par soi-même, il n’échappe pas à son propre courroux : « Il faut toutefois se bien faire comprendre, quitte à se répéter : le misanthrope conséquent ne connaît de détestation qu’envers lui-même. […] Et je ne parle pas ici de la pauvre haine de soi dont s’accablent tant de bonnes âmes socialistes ou libérales. Non, je parle d’une détestation radicale, celle qui nous accule à pleurer sans fin sur la monumentale erreur d’aiguillage qui, un jour, fit sortir du sol ce que l’on peine à désigner sans rire par le substantif : humain. »
Misanthrope, le moribond l’a toujours été, l’est encore et veut surtout le rester jusqu’à la fin. Sa haine du genre humain est telle que rien ni personne n’est épargné par sa colère : les autres en général (« l’autre est toujours un agresseur »), ses collègues universitaires (« ces benêts bêlants »), ses étudiants (« le passage de l’âge post-acnéique à celui de préprostaté constitue toujours une fâcheuse injure au bon goût »), les femmes, surtout celle de quarante ans, « affolées à l’idée de récupérer en cellulite ce qu’elles avaient depuis longtemps perdu en séduction », etc. Il s’emporte parfois au point de se livrer à de grotesques analyses « anthropo-morphologiques » concernant les Espagnols, les Italiens, les Portugais… M. Léandre oublie alors son langage soutenu, voire désuet pour sombrer dans la vulgarité. Lucide ou pathétique, il éructe, se calme, éructe de nouveau… Sur son lit de mort, le démoniaque vieillard n’éprouve plus aucune affection, ni pour son pourceau de fils, ni pour cette putain d’infirmière à l’insupportable gentillesse qu’il tente, par ses provocations et ses insultes, de faire craquer...
Le Pourceau, le diable et la putain est un roman extrêmement plaisant, tantôt badin, tantôt grave, et le lecteur n'aura certainement qu'un regret : que l'agonie du misanthrope ne se soit pas quelque peu prolongée.
Eric Bonnargent
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