Peut-être y a-t-il là l’une des clés de cette occasion manquée, forcément frustrante pour l’amateur de littérature, car on imagine tout l’intérêt qu’aurait suscité un échange entre de tels écrivains sur leurs expériences russes parallèles. Voilà pourquoi, pour combler ce vide littéraire, deux auteures, Isabelle Cousteil et Agnès Akérib, ont imaginé ce qu’aurait pu être la « correspondance intempestive » des deux voyageurs, une « rencontre épistolaire », pour reprendre leur propre définition, dont le but est de suppléer l’absence de dialogue direct. Ce texte, écrit pour le théâtre, mais qui se lit avec délectation, vient d’être publié sous le titre Gautier/Dumas, Fracasse et d’Artagnan chez les tzars (Triartis, 144 pages, 15 €).
Sélectionner ainsi des bribes d’œuvres qui tenaient par leur unité même peut se révéler périlleux ; en effet, on prend facilement le risque de dénaturer les propos d’un auteur lorsque l’on utilise des citations isolées de leur contexte. Tel n’est pourtant pas le cas de cette « correspondance », car les choix effectués, avec goût, subtilité et pertinence, rendent fidèlement compte des impressions de voyage de l’un comme de l’autre. Il en résulte un échange fructueux, émaillé d’un humour toujours bienvenu, où chacun, avec un œil acéré d’observateur, décrit son périple, ses rencontres, l’environnement dans lequel il évolue. Les rythmes des déplacements dans l’espace russe diffèrent, à la lumière desquels on devine les deux personnalités et les deux démarches opposées de ces hommes de lettres. Comme le précisent les auteures dans leur avant-propos, « Dumas galope, avide d’aventures en croquant tout sur le vif, Gautier contemple avec minutie et dépeint magistralement : deux manières de voyager, de regarder et de rapporter les coutumes ou les paysages, les hommes ou les bêtes, les nourritures terrestres ou spirituelles. » Au point que l’on se demande s’ils ont vraiment visité le même pays, même si tous deux se rejoignent dans le regard sans concession qu’ils portent sur un empire fondé, plus que d’autres dans l’Europe de l’époque, sur de fortes disparités sociales.
D’autres représentations devraient être données, probablement dans un autre lieu, après les vacances d’été. Elles seront annoncées auparavant dans ces colonnes. Et, pour ceux qui ne pourraient se déplacer, reste le livre, qui s’inscrit dans la grande tradition littéraire des récits de voyage du XIXe siècle.
Illustrations : Alexandre Dumas durant son voyage dans le Caucase, photographie - Théophile Gautier en Russie, photographie.