«Lorsque Pemberton regagna les montagnes de Caroline du Nord, après trois mois à Boston où il était parti régler la succession paternelle, parmi les personnes qui attendaient son train, sur le quai de la gare, se trouvait une jeune femme enceinte de ses œuvres. Elle avait auprès d’elle son père qui, sous sa redingote défraîchie, était armé d’un couteau de chasse affûté le matin même avec beaucoup de soin, de façon à pouvoir l’enfoncer aussi loin que possible dans le cœur de l’arrivant.»Ainsi commence ce roman dont l’héroïne est Serena, celle qui donne son nom au roman, celle que Pemberton vient d’épouser et dont il est follement amoureux. C’est le puissant et riche exploitant forestier de cette région des Smoky Mountains, en Caroline du Nord, où il abat les arbres millénaires pour s’enrichir au détriment de l’état qui veut transformer la région en un grand Parc National. Il est prêt à tout pour contrecarrer ce projet et n’hésite pas à tuer ceux qui l’embarrassent comme le père de Rachel, cette jeune fille très pauvre qui vient de lui donner un fils.Seule, sa femme Serena compte désormais à ses yeux. Ils forment un couple fusionnel et peu à peu, c’est elle qui s’impose comme la grande figure de la région. Elle est belle, forte, implacable, ambitieuse et volontaire. Elle semble ne rien craindre ni personne. Elle s’impose aussi bien aux hommes de l’entourage de son mari qu’aux animaux sauvages qu’elle domine. Bientôt on ne la voit plus que sur son cheval blanc, son aigle au poignet, dressé pour tuer les serpents des montagnes. Tout le monde obéit à ce couple infernal qui ne laisse autour de lui que meurtres et destruction de la nature. Elle subjugue, séduit, ordonne, dirige et fait tuer ceux qui lui résistent. C’est la tête de l’entreprise. Lui, Le maître et le mari, paie et se soumet, ébloui et admiratif. Autour d’eux la misère est partout dans cette Amérique de la Grande Dépression. Les ouvriers sont taillables et corvéables à merci et sans travail meurent de faim. Les disparitions, les morts s’accumulent autour de Serena lorsqu’elle devient stérile après une fausse couche. Plus rien ne l’arrête quand elle aperçoit parmi les affaires de Pemberton la photo de son fils illégitime. La jalousie la rend folle et Rachel et son fils doivent s’enfuir toujours plus loin dans les villes anonymes pour échapper à sa vengeance.Une nouvelle ambition l’accapare, une fois fortune faite : partir au Brésil où l’attend la grande forêt amazonienne. La fin du récit est surprenante, inattendue, tragique mais pas pour tout le monde. Serena n’a qu’une vraie rivale : la Nature, grandiose, superbe, éblouissante qu’elle s’acharne à saccager par cupidité. Cependant, là rôdent encore les animaux sauvages, l’ours et le puma, ce puma que Pemberton s’acharne à poursuivre mais qu’on ne voit jamais car les hommes sont restés des chasseurs, toujours prêts à tuer ou à être tués. Ce roman m’a fasciné. Je l’ai aimé presque autant que celui de Edward Abbey : «Le feu sur la montagne» ou le dernier de John Irving : "Dernière nuit à Twisted River". Dans un entretien l’auteur expliquait vouloir que le paysage agisse comme un personnage de ses romans car pour lui le paysage façonne le destin et l'environnement où l'on naît façonne notre perception de la réalité. Il se dit convaincu que dans l'art le particulier est un canal qui mène à l'universel et que, par conséquent, les meilleurs écrivains régionaux sont aussi les plus universels.C’est vraiment un très beau roman que je viens de lire là.
Serena de Ron Rash, ( Éditions du Masque,Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Béatrice Vierne, janvier 2011, 410 pages.)Nouvelle participation au challenge Nature Writing de Folfaerie. Merci à Keisha de m'avoir fait connaître ce courant de la littérature américaine.