Cela va bientôt faire cinq ans que je suis arrivé à Paris, et bien que prenant le métro matin et soir depuis toutes ces années, je suis toujours aussi fasciné par le métro parisien, et je ne me lasse pas d’observer mes compagnons de voyage.
J’essaye de deviner d’où ils viennent, où ils vont, ce qu’ils font, à quoi ils pensent, qui ils sont. J’invente une vie et une personnalité à certains que je croise régulièrement.
Il y a ce grand monsieur à la posture gaullienne, la peau tirée et tendue sur les os, toujours élégant, ruban de la légion d’honneur sur la veste, qui a depuis longtemps dépassé l’âge légal de la retraite, mais qui continue d’aller travailler, quelque part à Madeleine. Je l’imagine capitaine d’industrie. Il a toujours un journal ou un livre à la main. Livre de politique ou d’actualité, toujours un peu contestataire, ou alors un roman. J’aime ses choix. Après tant d’années à nous être croisés, toujours dans la même rame de métro, et à la même porte, nous nous échangeons parfois un très discret bonjour.
Il y a, le matin, cette femme, qui à force d’avoir fait la gueule, en a le visage tout déformé. Et tout le trajet durant, elle sort son petit miroir pour regarder sa grimace, et étaler son mascara.
À la correspondance avec le RER montent tous ceux qui viennent de banlieue. Ils sont faciles à reconnaître. Je m’amuse toujours autant à regarder le sac de récupération en carton choisi par les femmes pour accompagner leur sac à main, et dans lequel elles apportent leur repas du midi. Il doit arborer le nom d’une marque ou d’un magasin qu’elles pensent prestigieux.
Il y a tous ces garçons sensibles et efféminés qui descendent à l’une des stations du 7ème arrondissement. Impossible de se tromper.
Il y a aussi, dans mon métro du matin et du soir, des voisins, des collègues, d’anciens collègues, ma DRH, des amis de lycée ou d’école d’ingénieur, des connaissances de sites de rencontre.
Un joyeux mélange au final, que j’observe, et que j’essaye de classer par catégorie. Sans y arriver, parce qu’en fait, je déteste mettre les gens dans des cases, et j’aime être surpris, découvrir que je m’étais trompé.
Comme ce soir où ces deux garçons que j’avais imaginé être deux collègues insipides qui n’avaient que des banalités à se dire se sont échangés un langoureux baiser sur le quai en sortant du métro.