Un dessin, cadeau d'un inconnu, jeudi soir rue Daguerre, signature au Get 27.
Il crayonne déjà au comptoir quand mon amie et moi nous campons à ses côtés. Un dernier verre, un digestif pour la route. Une poire pour moi, un Get 27 pour elle. « Oh oui, un Get 27, » dit-il enthousiaste. Et il commande la même chose. Nous trinquons. Il dépose une flaque de liqueur de menthe poivrée sur le dessin qu’il m’offre. « Fais-en ce que tu veux, garde-le, jette-le. » Il est d’humeur joviale et pince-sans-rire. A ses côtés, deux nanas passablement éméchées commentent ses dessins. Il nous montre le forfait de son fils sur son cahier et avoue sa jalousie pour le talent de l’innocence. Puis en quelques coups de crayon, il croque le portrait de la jeune et jolie serveuse au sourire mutin. Elle se moque tendrement, mais se moque. « Fais-en ce que tu veux, garde-le, jette-le. » Son motto, sa gentille provoc teintée de sincérité blasée. Elle : « Ça n’est pas moi ça ! Pourquoi tu m’as fait un cœur dans l’oreille ? » Il répète : « Fais-en ce que tu veux, garde-le, jette-le. » Elle hésite puis le jette puis se ravise, le défroisse et repart servir ses clients. Le rire est dans l’air. L’alcool aussi. La deuxième nana imbibée se fait rembarrer par les deux piliers de comptoir à l’autre bout. Puis on le la voit plus. Sa copine l’appelle. Mon amie : « Où est passée la deuxième nana imbibée ? » Moi : « Par terre. » Nous gloussons bêtement. Le gars continue ses crayonnés. « J’aime ta veste verte, me dit-il, les gens sont tristes, ne portent pas de couleurs, sont tristes. Une ode au Get 27, ta veste. » La jolie serveuse au sourire mutin partie desservir, il essaie un nouveau dessin de la belle. Achève le dessin d’un sein pointant, le parachève de flèches. « Ah ! la langue d’un homme sur le sein d’une femme ! » ronronne-t-il. Je réponds : « Oui… pourquoi pas… pas mon trip. » Il ne comprend pas. Hérésie ! Je répète avec un sourire. Il comprend. L’œil goguenard, il enchaîne : « Le téton d’un homme, alors ! » Lui, mon amie, moi, trinquons aux rencontres improbables et rions. Le nez dans leur verre, ses copines ne comprennent pas. Et soudain, victorieux, joyeux, l’artiste s’exclame : « Une barbe ! » Et d’un coup de crayon fiévreux, il ajoute une barbe au portrait de la jolie serveuse. « Mais c’est l’alcool qui te fait faire des trucs pareils, » s’insurge sa copine, la paupière lourde, le regard de traviole. Mon amie et moi partons d’un irrépressible fou rire.
Depuis, chaque fois que je passe devant ce bistrot rue Daguerre, je ne peux m’empêcher d’y chercher les personnages de ce billet imbibé.N.B. Le dessin ci-haut, vous l'aurez remarqué de vous-même, n'est pas le dessin de la serveuse "à barbe".