Le bonheur est-il poreux ?
Encore un film de Mike Leigh qui touche, émeut, fait réfléchir. Ce réalisateur britannique est en passe de devenir mon favori. Après Be Happy, dont j’avais loué les mérites ici, voici son dernier film (décembre 2010 pour la projection française), Another Year, qui m’a bouleversée hier soir.
Tout d’abord, je dois dire que c’est admirablement joué par tout le casting, même si, comme à la toute fin de film, celle qui se détache est l’actrice fétiche du cinéaste : Lesley Manville (Mary), et devient finalement le coeur palpitant mais de guingois de ce petit cercle. C’est un film rare, au rythme inhabituel. Il est découpé en quatre séquences qui correspondent aux saisons qu’évoquent le titre, mais ce que l’on ressent surtout en le visionnant, c’est le temps que prend le cinéaste pour laisser se développer les situations, souvent articulées autour des repas dont les nourriciers sont le fameux couple de gens sains, heureux et équilibrés : Tom et Gerry ; Mike Leigh, laisse les personnages discuter, manger, boire (en quantité), bavarder, se taire, et c’est alors que l’on voit le mieux, dans leurs silences, les non-dits, les blessures, les failles, des abîmes de détresse souvent, mal masqués par des rires nerveux mais pudiques.
Ce rythme est une des audaces majeures du réalisateur. Mais ce n’est pas la seule. Car au fond, c’est le couple-pilier que constituent les solides Tom et Gerry, avec leur bonté, leur hospitalité, la bienveillance qu’ils exercent sur leurs amis écorchés par des vies bancales qui est finalement mis en question. Progressivement. Mary, l’amie dépressive, alcoolique et franchement borderline est accueillie tant qu’elle ne dérange pas vraiment. Mais lorsqu’elle révèle sa vraie faille (certes choquante et/ou ridicule mais plutôt inoffensive), elle est finalement mise au ban… Alors quoi ? L’amitié ne peut-elle souffrir un dérapage ? On le voit bien pourtant, Mary, sans son amie Gerry, est vraiment perdue.
Et cette dernière image qui nous hante, une fois le film fini, lorsque le cadre se resserre lors d’un déjeuner chez les fameux bienveillants qui racontent de manière presque impudique leur rencontre (devant une perdue qui n’a jamais eu droit à l’amour, et un veuf qui vient de perdre le sien), sur le personnage de Mary, entourée hors-champ, mais plus seule et blessée que jamais. Elle semble rejetée pour de bon dans les abysses de sa solitude. Le bonheur de Tom et Gerry, leur gentillesse (finalement relative -mais qui peut vraiment les blâmer ?- et c’est là que le film frappe fort) n’aide finalement personne (sauf peut-être leur fils, héritier d’une faculté, comme d’un gène). Il renvoie au contraire ses spectateurs à leurs propres échecs.
Dans l’extrait ci-dessus, qui se situe plutôt au début du film, nous avons une sorte de répétition de l’échec final de la porosité du bonheur : Mary assiste à la réussite amoureuse de ses amis mais s’en sait déjà exclue et en souffre déjà.
Pour voir la bande-annonce vous pouvez aller là, mais surtout, je vous conseille cette critique extrêmement riche et subtile, très pertinemment nommée “Pour cultiver son jardin, est-ce nécessaire de le clôturer ?” qui m’a grandement aidée à voir toutes les strates de ce film infiniment humain qui pose des questions rares et pourtant essentielles.