[Interview] Pascale Garreau, membre du collectif PédaGoJeux

Publié le 08 mai 2011 par Axime

Depuis la fin des années 2000, l'industrie du jeu vidéo s'est dotée d'un outil commun à toute l'Europe, la PEGI, pour guider parents et enfants dans le choix des jeux, afin d'éviter que certains contenus ne se retrouvent dans les mains d'un trop jeune public. Quelques années plus tard, toujours dans l'optique d'informer et d'éduquer les parents à un univers qui peut leur paraître inconnu, le collectif PédaGoJeux a vu le jour.

Nous vous proposons aujourd'hui un entretien avec l'une des membre de ce collectif, réalisé lors de notre visite du salon du Paris Games Week, en 2010. Une interview à retrouver sous forme sonore ou écrite.


Pascale Garreau, membre du collectif PédaGoJeux

(lien direct vers le fichier MP3)


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Néluge : Bonjour. Première chose, je vais vous demander de vous présenter.
Pascale Garreau : Je suis membre du collectif PédaGoJeux, qui rassemble un certain nombre d'acteurs publics et privés autour de l'information aux parents. Je fais partie de la structure Internet sans crainte, qui est la mission de sensibilisation des mineurs au sein de la commission européenne. Je représente la France au sein du programme Safer Internet Plus (Pour un Internet plus sûr). Et au sein du collectif, nous sommes un certain nombre d'acteurs dont le Ministère de la Famille, le Forum des Droits sur Internet, le SELL, des éditeurs de jeux, etc... Et nous sommes là pour informer les parents sur toutes les issues relatives aux jeux vidéo.


Néluge : Pour commencer, on peut parler de ce qui est peut-être le plus connu, à savoir PEGI, qui a un petit stand sur le Paris Games Week. Est-ce que vous pouvez nous rappeler ce qu'est exactement la PEGI ?
Pascale Garreau : C'est une signalétique d'indication aux parents et aux joueurs des recommandations d'usage des jeux. Ça n'a rien à voir avec le niveau de compétence des joueurs. Ce sont des indication qui ont à voir avec ce qui est présent dans le jeu : si vous avez des scènes de violence, des gros mots, du sexe ou des choses comme ça. Il y a un double indicateur : l'âge recommandé et en parallèle des petits pictos qui vous indiquent le contenu des jeux qui pourrait être problématique pour la cible donnée.

Néluge : Mais c'est juste une indication, et en rien un système d'interdiction.

Pascale Garreau : C'est un système de corégulation. C'est à dire que l'ensemble des éditeurs l'ont adopté et s'engagent à présenter leurs jeux au comité PEGI, qui est un comité européen qui décide de le classification à adopter. Ce n'est en aucun cas obligatoire, ni mandatoire.
Néluge : Donc les éditeurs pourraient sortir leurs jeux sans l'indication PEGI ?
Pascale Garreau : Ils pourraient s'ils le voulaient, mais peu le font, l'ensemble de la communauté s'étant mise d'accord sur ce système là. C'est une bonne pratique qui est bien répandue. Mais ça n'est pas obligatoire, non.
Néluge : Et c'est donc un système européen correspondant à la communauté européenne ou plus largement ?
Pascale Garreau : C'est un système qui dépend en effet de la commission européenne, mais qui a été mis en place par l'industrie.
Néluge : Qui sont les personnes à décider de cette classification ?
Pascale Garreau : C'est une bonne question. Ils sont actuellement en train de pas mal changer le board (ndlr : le conseil d'administration), mais c'est un board avec des représentants à la fois de l'industrie, de la protection de l'enfance, des associations familiales... Donc vous avez un jury qui passe au peigne fin l'ensemble des jeux et qui donne les signalétiques correspondantes.
Néluge : Les débats se passent sans problème ?
Pascale Garreau : Alors moi je ne suis pas membre du comité PEGI, donc je ne peux pas vous répondre sur cette question là. Apparemment, il n'y a pas trop de discussions parce que les catégories sont assez claires. Typiquement, la violence est considérée violente si vous êtes dans une situation où elle est réelle. Par exemple, vous êtes en 12+ si la situation est réelle. Si c'est une violence qui est complètement abstraite, elle est classifiée différemment. C'est assez précis, je pense, mais je peux me tromper, pour qu'il n'y ait pas de controverses au sein du comité.
Néluge : Globalement, on à l'impression que la classification PEGI, par rapport à des classifications comme pour le cinéma, est plus drastique. Des jeux qui sont recommandés à partir de 12 ou 16 ans passeraient sans aucune classification au cinéma.
Pascale Garreau : La cohérence des classifications, c'est un gros souci. Même au niveau des films : vous avez sans doute remarqué que les films au cinéma ou à la télévision ne sont pas classifiés pareil que sur les vidéocassettes. On a plein de classifications qui se promènent et qui ne sont pas toutes sur les mêmes critères. Donc effectivement, c'est un souci. Alors est-ce que c'est plus dur pour les jeux vidéo, je ne sais pas, mais ce que les gens ne comprennent pas c'est que ça n'a rien à voir avec les compétences des joueurs. Ils ne comprennent pas que l'on mette un jeu 12+ alors qu'un petit de trois ans pourrait jouer. Mais ça n'a rien à voir avec le fait de pouvoir jouer. On peut mettre un 12+ alors que c'est un jeu auquel les petits enfants vont réussir à jouer, ce n'est pas le propos. Et c'est là que les gens ont beaucoup de mal à comprendre cette classification.
Néluge : Et ces différentes classifications, il y a des objectifs de les rendre un peu plus communes ?
Pascale Garreau : Non, il n'y a pas en ce moment de board commun entre par exemple le CSA en France et le PEGI au niveau européen. Vous pouvez imaginer que c'est déjà très compliqué de mettre les éditeurs d'accord au niveau européen, donc non, ça n'existe pas.
Néluge : Cette classification, tout le monde peut y avoir accès ?
Pascale Garreau : On la trouve sur le site PEGI (www.pegi.info) et également sur le site PédaGoJeux (www.pedagojeux.fr) dont on s'occupe, qui permet en plus d'avoir un décryptage de cette signalétique pour les parents, afin de comprendre un peu mieux de quoi il s'agit.
Néluge : Alors justement, qu'est ce que c'est exactement que PédaGoJeux ?
Pascale Garreau : Comme je vous le disais, c'est un collectif d'acteurs publics et privés qui ont voulu mettre en place un site d'information et des actions, comme on fait aujourd'hui, pour mettre en avant auprès des parents toute la problématique autour du jeu vidéo. Pour que les parents comprennent ce que c'est qu'un jeu vidéo : par exemple vous avez beaucoup de heurts dans les familles lorsque l'on dit aux enfants "arrête de jouer, arrête de jouer !" On essaye d'expliquer aux parents que sur différents types de jeux, on ne peut pas s'arrêter au même moment. Ce sont des choses aussi simples que cela, et qui permettent aux parents de gérer au sein de la famille le jeu au quotidien. Donc il y a PEGI, mais aussi la pratique courante du jeu vidéo : comment je gère moi, à la maison, un jeu vidéo avec mon enfant.
Néluge : Quels sont les moyens d'action de PédaGoJeux ? Des rendez-vous comme aujourd'hui, un site internet... Des conférences peut-être, ce genre de choses ?
Pascale Garreau : On fait effectivement des conférences, on réunit aussi les différents acteurs dans des tables rondes. Par exemple les acteurs qui font de l'e-sport, avec lesquelles on a beaucoup travaillé pour voir ce que l'on pouvait faire de façon concrète pour éviter que les mineurs ne soient confrontés notamment à des jeux d'argent. Donc on réunit des acteurs, on discute, et on essaye de faire en sorte que les bonnes pratiques s'installent de manière volontaire auprès des différents acteurs. C'est de l'information, et aussi des synergies entre acteurs pour que des bonnes initiatives soient prises au sein de la communauté.
Néluge : Est-ce que, aujourd'hui, la classification PEGI suffit ? Parce qu'on voit beaucoup de parents donner l'argent aux enfants sans vérifier ce qu'ils vont acheter avec, et le vendeur lui est là pour faire de l'argent, et ne refusera pas de vendre un jeu à un jeune public, malgré la recommandation.
Pascale Garreau : Encore une fois, c'est parce que ce n'est pas une loi, donc ce n'est pas interdit d'achat. Mais le problème que l'on a, c'est un problème d'éducation aux parents. Dans le salon, vous allez sur le stand Call of Duty, vous avez plein de papas avec des gamins de neuf ans qui hurlent pour pouvoir rentrer, en exprimant très clairement le fait que ce n'est pas interdit. Qu'est ce que vous faites devant un père qui emmène un enfant de quatre, cinq, six, sept, huit ans jouer à Call of Duty ? Légalement, il a le droit. Donc il y a un gros problème de responsabilisation et d'information des parents. Actuellement, un père qui emmène un enfant de neuf ans jouer à un jeu recommandé aux plus de dix-huit ans, ce n'est pas illégal, c'est une problématique d'éducation essentiellement.
Néluge : Et donc on y revient, c'est le but de PédaGoJeux.
Pascale Garreau : C'est exactement le but, de mettre les choses carte sur table. Ne pas diaboliser les jeux en soi, mais simplement apprendre aux parents à gérer ça dans la continuité, au fil de l'évolution de l'enfant. Les mettre sur Mario quand ils sont petits, et gérer les choses au fur et à mesure. Mais certains parents ne sont juste pas au courant de ce qu'il se passe, et d'autres sont inconscients des répercutions éventuelles de jeux qui ne sont pas fait pour des petits.

Néluge : Globalement, qu'est ce que vous observez aujourd'hui ? Même si la génération change, les parents actuels sont eux-même des joueurs, quelles sont les questions que l'on vous pose ? Les parents ont peur du jeu vidéo ?

Pascale Garreau
: Alors, il y a eu énormément de campagnes média dramatiques pour le jeu vidéo, sur la violence etcetera... Au niveau des études, on voit que ça n'est pas très lié. Donc il y a beaucoup de parents qui ont très très peur et qui interdisent tout. Globalement, c'est une catastrophe, parce qu'ils vont chez les copains pour jouer et ils font n'importe quoi. Et puis il y a les parents joueurs. On sait très bien que les seules addictions qui existent, ce sont pour les parents de 30 à 35 ans. On a affaire à des parents qui, eux, ont des vrais problèmes avec les jeux vidéo, et qui entrainent leurs enfants là dedans. Donc on a les deux pôles : ceux qui ne connaissent rien, qui ont peur et qui disent non à tout; et puis il y a ceux qui eux-même jouent beaucoup et qui entrainent les petits sur leurs genoux à faire ce qu'il ne faut pas. On a tout le spectre, ce qui n'était pas le cas il y a cinq ou six ans.
Néluge : Et vous avez du monde qui passe ici sur votre stand (ndlr : au Paris Games Week 2010) ?
Pascale Garreau : On a peu de monde, parce que les gens veulent évidemment jouer. Mais par contre, nous, on va se promener, et on va beaucoup voir les éditeurs pour discuter avec eux de la façon dont ils gèrent ça. On a des distributeurs qui viennent nous voir, pour savoir comment on peut mettre en place de la signalétique dans les magasins, près des caisses, etc... Il y a pas mal d'acteurs qui sont très concernés par le sujet. On va leur donner des affiches, des documents, et on va les aider à mettre en place, dans les magasins notamment, des politiques d'information aux parents. Il y a beaucoup de gens intéressés, mais surement pas les enfants, peu les parents, mais plus autour.
Néluge : Merci beaucoup. Je crois que l'on a bien compris qu'il faut faire rentrer dans l'esprit des gens que PédaGoJeux et la PEGI ne sont pas là pour diaboliser le jeu vidéo, au contraire.
Pascale Garreau : Nous, on est dans une politique plutôt constructive au niveau du jeu vidéo, on n'est absolument pas contre. Je pense qu'il y a de très bons jeux, et d'autres peut-être moins adaptés aux enfants. Je pense que c'est juste un travail d'analyse que l'on fait : qu'est ce qui est sur le marché, pour qui, quels sont les problématiques... On travail aussi beaucoup sur les débats dans les médias : qu'est ce qu'on dit, pourquoi, où sont les vrais soucis, pour essayer de rationaliser un peu tout ça, et faire du jeu vidéo un domaine comme les autres, qu'on puisse aborder de façon sereine, tout en informant.
LiveGen : Merci beaucoup