En matière de gestion des risques, l’une des
difficultés fondamentales est d’appréhender que notre comportement puisse modifier de manière considérable notre rapport au risque. Face au risque, l’homme conserve ainsi un certain degré de
liberté. Ceci est vrai pour l’humanité dans sa globalité mais aussi pour l’individu. C’est en cela que l’exercice de la liberté devient un art redoutable illustrant toute l’ambiguïté du
comportement humain d’un côté, épris de liberté au risque de se brûler les ailes sinon des années, de l’autre côté, espérant, voire exigeant, échapper au malheur mais sans avoir à renoncer à
quelques onces que ce soit de sa soi-disante liberté.
Ainsi que le montre les données du dernier rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques
(DREES ; voir Etudes et Résultats n°623 paru en février 2008), l’état de santé de la
population en France apparaît globalement bon, mais manifestement un certain nombre d’indicateurs démontre la nécessité de prendre avec prudence cet a priori. Ainsi, la mortalité prématurée reste
l’une des plus élevées de l’Union européenne. En outre, des disparités sensibles perdurent tant entre hommes et femmes qu’entre territoires ou catégories sociales. Ce constat ambigu est au cœur
de notre discussion sur les contradictions du comportement humain car la mortalité dite prématurée, et notamment celle sur laquelle chaque individu pourrait agir en conscience, pourrait être
« évitable ». Mais nous verrons que la vraie question qui n’est pas abordée dans ledit rapport est de savoir si, en matière de risques liés à la santé, nous sommes vraiment
libres.
Nous avons pourtant de quoi nous réjouir a priori. En effet, en 2006, l’espérance de vie à la naissance en France reste l’une des
plus élevée d’Europe avec 84,0 ans pour les femmes et 77,1 ans pour les hommes. En dix ans les hommes ont gagné 3,1 ans et les femmes 2,1 ans, surtout grâce à l’allongement de la durée de la vie.
L’espérance de vie à 65 ans (2005) atteignait 22 ans pour les femmes (soit 1,4 an de plus qu’il y a dix ans), et 17,7 ans pour les hommes (soit 1,6 an de plus qu’en 1995).
D’un autre côté, la situation de la France en Europe reste pourtant très défavorable. Ainsi, en 2003, parmi les 25 pays de l’Union
européenne, c’est en France que l’on observe, chez les hommes, le taux de mortalité « évitable » le plus élevé après les nouveaux adhérents d’Europe centrale, les Pays Baltes et la Belgique,
devant le Portugal et le Luxembourg (taux de décès double en France par rapport au Royaume-Uni). Cette situation paradoxale ne s’explique que parce que l’on estime qu’environ un tiers des décès
survenant avant l’âge de 65 ans pourraient être évités par une réduction des comportements à risque (tabagisme, alcoolisme, conduites dangereuses, etc.). Toute la question est de comprendre
pourquoi, les citoyens français ont moins tendance que les autres citoyens européens à agir sur des paramètres sur lesquels ils conservent un degré de liberté.
L’analyse de cette situation différenciée au regard du sexe montre une inégalité de risques entre l’homme et la femme. Le taux de
décès prématuré des hommes est ainsi 2,2 fois supérieur à celui des femmes tandis que le taux de décès correspondant à la sélection « mortalité évitable » est multiplié par quatre chez les
hommes comparativement aux femmes. Ce constat est à mettre en lien avec la perception de l’état de santé pour lequel les hommes ont une plus grande propension à estimer que leur santé est «
très bonne » que les femmes. Ferions-nous preuve, nous les hommes, d’un optimisme excessif ? Ou les femmes sont-elles tout simplement plus réalistes face aux risques encourus par leurs
comportements ?
Le rapport montre ce qui apparaît comme une évidence [et qu’il est bon toujours de rappeler à ceux qui voudraient nous faire croire
qu’il suffit de travailler plus pour être heureux et en bonne santé] qu’à âge et à sexe égal, les problèmes de santé sont manifestement liés à la position sociale et au niveau d’éducation
des individus. Ces disparités tiennent à des différences tant en matière d’exposition aux risques que d’environnement ou de comportements socioculturels. Nous ne sommes donc pas égaux face
aux risques. Et la DRESS de rappeler que s’il existe des dispositifs sociaux type la couverture maladie universelle ou la permanence de l’accès aux soins de santé, il existe également de manière
évidente des obstacles financiers notamment pour les soins qui restent à la charge des individus et dont la portion est d’autant plus importante que les revenus sont modestes (soins dentaires,
lunettes et soins de spécialistes). On notera que la mise en place des franchises médicales qui pèsent de toute évidence beaucoup plus lourdement dans le porte-monnaie du smicard que dans celui
des catégories socioprofessionnelles aisées, dispositif qui ne pourra qu’accentuer les écarts.
La situation est d’autant plus inégalitaire qu’en fonction des données disponibles, on constate que les problèmes de santé
présentent des différences territoriales sensibles en matière de mortalité comme de morbidité. Ces disparités, sociales, territoriales, par sexe, suggèrent que pour certains groupes de population
et certaines pathologies, des gains sont possibles en matière d’état de santé, grâce à une action sur ses déterminants d’ordre comportemental, liés à des expositions dans la vie quotidienne et en
milieu de travail ou liés à l’environnement socioculturel des personnes.
C’est ainsi le cas de la consommation d’alcool qui demeure tristement un record national. Plus encore que l’alcool, et souvent en
association avec lui ou avec certaines expositions professionnelles, le tabagisme est responsable d’un nombre très élevé de cancers, notamment pulmonaires et des voies aérodigestives supérieures.
Ces deux cancers induisent plus de 30 % de la mortalité avant 65 ans et même 52 % chez les hommes !
Nous n’insisterons pas ici pour rappeler que l’excès de poids et la sédentarité, souvent associés, sont des facteurs de risque
importants de maladies chroniques, diabète et maladies cardiovasculaires ni que la prévalence de la surcharge pondérale augmente partout dans le monde occidental. Mais il faut bien avoir
conscience que si une consommation suffisante de fruits et légumes et des apports modérés en sel sont ainsi, d’après les études épidémiologiques, favorables à une diminution de certaines maladies
chroniques (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète notamment), le respect d’un tel comportement est là encore facilité selon le niveau social et surtout financier de l’individu. Il n’est
ainsi pas surprenant que le taux d’obésité soit plus élevé parmi les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées. Sans parler de ces publicités tronquées faites par des grandes
enseignes de la nourriture rapide qui mentionnent en caractères microscopiques les préconisations du plan national nutrition santé. Peu importe !? L’Etat est satisfait, officiellement ces
grandes enseignes militent en faveur d’un changement de comportement dans les régimes alimentaires. A noter cependant que des groupes comme Danone ont choisi une stratégie commerciale consistant
à se séparer progressivement de tous les produits n’entrant pas dans une conception « sanitaire » de l’alimentation, abandonnant prestement biscuits et autres produits néfastes. Mais
que les capitalistes demeurent rassurés, il ne s’agit pas d’une démarche purement philanthropique mais bien le résultat d’une étude de marché anticipant ou poursuivant la tendance de l’évolution
des besoins des consommateurs [à moins que ce ne soit ces mêmes groupes qui suggèrent aux consommateurs leurs comportements], étude concluant que les marges bénéficiaires sont à prendre dans ce
nouveau concept de l’alimentation/santé.
Si l’on quitte les déterminants comportementaux a priori individuels comme ceux que l’on vient de citer pour aborder l’exposition
aux risques liés à l’environnement, on constate que dans ce domaine la France présente non seulement de mauvais résultats en terme de santé publique mais qui plus est, elle ne se dote pas des
moyens nécessaires pour d’une part mener des études sérieuses et approfondies [la plupart des données en la matière sont de source anglo-saxonne] ni d’autre part lutter contre les causes
liés à l’environnement. Ainsi les données disponibles remontent à l’an 2000 ( !) en France, on estimait à 32 000 le nombre de décès annuels attribuables à une exposition de long terme à la
pollution atmosphérique urbaine dont plus de la moitié seraient causés par la pollution automobile.
On peut dans ces circonstances déplorer que « beaucoup d’inconnues demeurent : quantification des effets chez l’homme de
toxiques connus, impact de certains nouveaux produits, effets des mélanges de substances… » Mais force est de constater que les pouvoirs publics ne donnent guère les moyens d’agir en la
matière, même si le rapport souligne de manière faiblarde que « la qualité de l’air a été assez récemment reconnue comme un enjeu de santé publique majeur : l’air extérieur, des locaux
d’habitation et de travail. » Pas de quoi parader ! D’autant que l’un des paramètres de contrôle de la qualité de l’air extérieur, les particules de moins de 10 micromètres de diamètre
dites particules fines n’ont pas été retenues pour le calcul de la fameuse éco-taxe que tout acheteur d’un véhicule neuf doit désormais s’acquitter, celle-ci ne prenant en compte que le CO2. A
savoir que les véhicules des constructeurs français sont plutôt globalement performantes sur les émissions de CO2 tandis que les véhicules étrangers sont plutôt globalement performants sur les
émissions de particules fines. A savoir aussi que les particules fines sont certainement plus dangereuses pour la santé que le CO2 pourtant lui-même néfaste. Et après on nous explique que le
Grenelle de l’environnement est une victoire !?
En se penchant sur la situation de l’eau, on pourrait penser que la France est un pays privilégiée [et elle l’est en terme
d’abondance], le seul souci c’est que notre pays est miné par un lobby que tout le monde connaît, les agriculteurs. Car quitte à leur déplaire, citons à nouveau le rapport de la DRESS :
« la qualité de l’eau de consommation apparaît globalement satisfaisante au regard de ces normes mais elle doit être améliorée dans les réseaux de petite taille. On constate en revanche une
dégradation continue de la qualité de l’eau dans le milieu naturel (cours d’eau, nappes phréatiques). » En résumé, la France est un pays riche en eau, mais qui à force d’avoir poussé une
agriculture intensive sans anticiper la nécessité d’une autre forme de production s’échine à se doter de quelques indicateurs/objectifs d’amélioration de la qualité de l’eau sans, là encore, se
donner les moyens d’atteindre ces résultats. Une situation qui, du point de vue des millions, des milliards d’individus pour qui l’eau est une denrée rare, relève du pur scandale et du
comportement [collectif cette fois] d’un pays riche.
Ne soyons donc pas étonnés face à l’ensemble de ces contradictions que les résultats sur l’état de santé de la population française
ne soient si bons que cela. Mais que l’on se le dise « il fait bon vivre en France », mais il y en a pour qui il fait manifestement meilleur !
Retrouvez l'ensemble des données relatives à la DRESS
Cet article s'inscrit dans le débat relatif à la notion de risque