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Après les jeunes déçus, les jeunes rétifs

Publié le 08 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

Après les jeunes déçus, les jeunes rétifs

Le journalisme, de nos jours, c’est cette profession, que dis-je, ce sacerdoce qui consiste, dès lors qu’il s’agit de parler de la France, à enrober la réalité dans un cocon moelleux de termes toujours plus protecteurs, à séparer la vie réelle de celle fantasmée par l’élite parisienne conscientisée dans un déferlement d’euphémismes douillets. Et ce dimanche est l’occasion de découvrir une nouvelle pépite dans le registre de l’adjectif pastel.

Nous avions eu le droit, il y a quelques temps, à cette délicieuse expression de castration par le bisou citoyen lors d’une n-ième émeute : une bande de racailles avait, de façon parfaitement prévisible, ruiné une opération publicitaire.

Comme il se doit, la presse, jamais en retard d’une émasculation, s’était rapidement fendue d’une série d’articles décrivant par le menu l’impudence de la firme qui avait osé se lancer dans une opération de marketing fort douteuse, et avait, dans la foulée, requalifié les petits merdeux en « jeunes déçus ».

L’expression avait depuis fait florès : de nos jours, lorsqu’on observe des bandes qui se tartent la face à coup de sabre et de manches de pioches, le journalisme de terrain relayera les frictions des jeunes déçus, les pugilats anodins ou les heurts d’adolescents en mal de repères.

Aujourd’hui, on nous propose une nouvelle variante pour présenter la petite gouape mal dégrossie : le jeune rétif. Et c’est au détour d’un article frémissant de gentillesse qu’on apprend l’usage de cette nouvelle expression pour décrire cette vaste catégorie des jeunes difficiles.

En gros, l’article présente donc une troupe de joyeux drilles, espiègles adolescents toujours prêts à divertir la galerie par ses bons mots, son irrévérence et son impertinence rafraîchissante qui a été propulsée, le temps d’une expérience courte d’une semaine, dans le monde discipliné et ordonné d’un régiment d’infanterie. Forcément, dans un environnement si peu favorable à la bonne gauloiserie, nos jeunes se sont flétris, n’ont pas pu exprimer leur joie de vivre et se sont donc montrés … rétifs et n’auraient pas vraiment coopéré avec les instructeurs et les soldats auxquels ils furent confiés.

En gros, ce fut un bon gros plantage.

Pour relater ce bide, le titre nous offre du « Des jeunes difficiles à l’école de l’armée« . Ok, soit, j’en conviens : un article qui présenterait l’expérience menée ici avec un titre du style « Une bande de merdeux au pas cadencé » serait très vite taxée de réactionnaire, injurieux ou trop politiquement incorrect pour être valable. Et ce, même si, après la lecture de l’article et son décodage en langage courant ne laisse aucun doute sur les lascars qui furent soumis à l’expérience de l’armée.

Je dis « décodage » puisque, conformément à ce que j’exposais en introduction, toute la subtilité de l’exercice journalistique de nos jours consiste à retranscrire la réalité dans son aspect le plus lisse et le plus bisou-compatible.

soldier : when in doubt, frag out

Ainsi quand vous lirez « il semblerait que les ados du 9-2 aient donné du fil à retordre aux militaires professionnels » vous comprendrez que la vermine remuante a été insupportable d’indiscipline. Quand vous tomberez sur « Cette semaine placée sous le signe de l’autorité s’est finalement révélée très tendue.« , vous aurez une image fidèle en tête si vous vous figurez une paire de militaires, pivoines, devant un groupe informe de branleurs échevelés en train de se rouler des splifs dans un niagara de mots fleuris.

On trouve même la jolie périphrase « le stage a été marqué par des altercations à répétition et une hostilité ouverte à l’égard des encadrants militaires » pour faire comprendre que la bande de dégénérés a été complètement incontrôlable et que les militaires, devant se plier au politiquement correct et à la mièvrerie ambiante, n’ont pas eu l’occasion d’enfoncer consciencieusement leurs rangers dans leurs tronches, leur intimant, par la douleur et la force, le nécessaire silence qui met en condition et précède tout apprentissage d’importance.

Autrement dit, la bande d’anus mutins a bénéficié — encore une fois, amis contribuables — d’une semaine à glander en pure perte et à se payer la tête de nos militaires qu’on ne reprendra plus dans ce genre d’entourloupe. Au passage, pour que ces militaires pètent un câble au bout d’une petite semaine alors que ces gens sont normalement formés pour des situations un tantinet « tendues », c’est qu’à mon avis l’envie d’enfoncer des poings solides dans des mâchoires trop vierges était devenue insupportable…

Cette anecdote est en réalité très intéressante, bien au-delà du camouflage ridicule et quasi-héroïque de la triste réalité par les journalistes dans une mousse aérienne d’adjectifs lénifiants.

En réalité, on apprend que l’Education Nationale tente, ici comme ailleurs, par tous les moyens, de trouver des palliatifs à ses échecs cuisants. On découvre donc que le gros mammouth continue de pondre de l’égalité des chances et de la tendresse calibrée et qu’en même temps, les jeunes déçus ou rétifs qui n’en veulent pas se font de plus en plus incontrôlables, que la bien-pensance et le béni-ouiouisme se sont tellement installés dans l’air du temps et dans les mœurs de tous que même les militaires se sentent pieds et poings liés au point de renoncer à leur inculquer les bases de la discipline.

Discipline qui était, dès le départ, du ressort des parents bien avant l’Education Nationale. Parents dont on n’entend pas parler, ni dans l’article ni ailleurs, et qui sont, de facto, absent depuis le moment où le chiard, souvent conçu pour des raisons purement financières, vient au monde, jusqu’au moment où, après l’enfilade de foirades maintenant classiques de l’Etat et ses sbires, il deviendra un adulte totalement irresponsable, indiscipliné, irrespectueux, et totalement perdu pour le pays, la société et lui-même. Inscrit dès le départ comme une charge pour la société, il ne changera plus de case et, devant l’exemple de ses aînés et encouragé par toute une clique de cancrelats associatifs débiles, fera même tout pour y rester.

Cela fait six années que je tiens ce blog. Chaque billet a été, durant ces années, l’occasion de vérifier la fuite du temps qui passe et, plus spécifiquement pour la France, cette tendance générale à l’enfoncement dans la médiocrité et le milieu du rien du tout gluant qui immobiliserait un taureau en pleine course.

Quelque part, ce billet est, quasiment, l’exemple type, l’illustration parfaite du sous-titre de ce blog, celle d’un pays en lente décomposition, un pays où même les militaires, la personnification exacte de l’ordre et du devoir, abdiquent devant la pire des engeances : des gamins incontrôlables, … des jeunes rétifs.

Franchement, le constat est sans appel : ce pays est foutu.
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