C’est une chose que d’avoir vu, parfois, ici et là, un miroir peint (ou plutôt un Tableau-Miroir) de Michelangelo Pistoletto d’un œil curieux et amusé. C’est une autre chose que de me trouver entouré de ces Tableaux-Miroirs, d’avoir ma propre image répercutée à l’infini, engagée dans des dizaines de scènes comme personnage aux côtés des autres personnages, comme participant moi aussi à la représentation et y incluant avec moi les autres visiteurs de l’exposition (au MAXXI à Rome jusqu’au 15 août).
Si vous réusissez à prendre la salle dans le bon sens (!?!), vous commencez par des toiles, portraits sévères où la figure humaine solitaire, frontale semble flotter sur un fond quasi monochrome. Soudain (en 1961) le vernis du fond du tableau devient si dense, si noir qu’il réfléchit le visage du peintre regardant sa toile, son
portrait. Comme le raconte fort bien Angela Vettese dans le magnifique catalogue, l’étape suivante est de passer au miroir en inox sur lequel Pistoletto colle du papier de soie (ou du vélin) peint. Les techniques varieront au fil du temps, sérigraphie, photographie (voire même, une unique fois, en 1967, le transfert délicat d’un négatif sur gélatine dans ‘Alighierro Boetti regardant un négatif’, expérience intéressante sur la perception et la photographie même), les personnages gagneront en couleur, en véracité. Le passage en 1969 de la peinture (geste unique) à la sérigraphie et à la photographie (reproductions mécaniques) n’entraîne pas une multiplication : l’œuvre reste unique, ‘auratique’.Cette grande salle courbe, où on doit négocier son chemin entre des panneaux en chicane ornés recto verso de tableaux-miroirs donne la sensation enivrante de naviguer au sein de cet univers d’un miroir à l’autre, d’un compagnon à l’autre. Il est seulement dommage que le musée n’autorise pas les photos (ce serait bien mieux pour restituer cette impression d’inclusion, d’appartenance, de témoignage, voire de victimisation : j’aurais voulu vous montrer ma tête au sein du Cappio) et ne fournisse pas non plus de photos de l’exposition, pour montrer comment les différents tableaux-miroirs se répondent, s’articulent, s’insèrent les uns dans les autres (le Cane con la coda giù regardant la Donna che fa la cacca, par exemple). Les photos fournies (et donc montrées ici) sont froides, sans vie, sans spectateurs, sans échos.
Après, ce sont des dizaines de rencontres dans cette continuité de l’espace, où alternent calme méditatif et mouvement furtif, durée et instantané, confrontation et interaction. En voici donc quelques expériences bien partielles, chacune avec son histoire, chacune comme un tableau vivant dans lequel nous pouvons entrer et jouer. L’œuvre tout en haut, Graziella (1971) représente la mécène et collectionneuse Graziella Lonardi Buontempo (décédée il y a quelques mois) nue, de dos. L’histoire vaut d’être contée : Graziella est la compagne du Prince Aldobrandini ; celui-ci, discutant avec Pistoletto, laisse tomber par inadvertance de son portefeuille cette photo de sa maîtresse. Pistoletto s’en empare et réalise
ce tableau-miroir. Cet autre nu couché, très classique, représente la deuxième femme de Pistoletto, Maria Poppi (Maria nuda, 1967) au tout début de leur relation : Pistoletto, alors marié à Marzia Calleri, rencontre Maria en novembre 1967. La biographie murale de l’exposition raconte que le 13 décembre 1967, lors d’une performance collective à l’Université de Gênes organisée par le critique Germano Celant (qui, trois mois plus tôt, a ‘lancé’ l’Arte Povera), Pistoletto quitte la scène, va trouver sa femme Marzia assise dans le public et lui coupe les cheveux, tout en demandant à leur fille Cristina, 7 ans, de couper les cheveux de sa poupée. Ce tableau-miroir est fait quelques jours après cette rupture théâtrale. Voici Cage (1973), qui fait près de six mètres de long : le jeune homme basané qui balaye derrière les grilles est Marco Mao’, l’assistant du photographe Paolo Mussat Sartor qui collabore alors avec Pistoletto. De quel côté des barreaux sommes-nous ? Qui est prisonnier, lui ou nous ? Le groupe de théâtre de Pistoletto se nommait le zoo… Un des tableaux-miroirs dans lequel je me suis senti le plus impliqué, le plus invité à prendre part est cette Sacra Conversazione de 1973, avec les artistes Giovanni Anselmo, Gilberto Zorio et Giuseppe Penone, tous en jeans et veste, légèrement vus d’en haut, engagés dans une conversation qui les rend pensifs, les yeux vers le sol. Puis-je en être ? La conversation sacrée est un thème religieux du Moyen-Âge et de la Renaissance ; Pistoletto a aussi réalisé une Deposizione (1973) où le geste de la femme en mini-jupe portant le corps d’un homme en jeans, mort ou évanoui, est un geste éternel, avec, comme souvent chez lui, des personnages à demi hors cadre, hors champ, ouvrant l’espace. Pour conclure, voici, en quelque sorte, notre image même, une visiteuse d’exposition, le catalogue à la main (Visitatrice con catalogo, 1969) : un double de moi-même auprès duquel je peux m’insérer. Comme je le disais hier, vivement la suite (de 1974 à aujourd’hui).Photos 4 & 7 courtoisie de MAXXI.
Cage, 1973, sérigraphie sur acier inox poli, 230×580cm, collection de l’artiste. Ph. : Paolo Pellion di Persano.
Visitatrice con catalogo, vélin peint sur acier inox poli, 230×120cm, collection Pietro Valsecchi. Courtesy Sotheby’s.
Autres photos glanées ici et là. Toutes oeuvres © Michelangelo Pistoletto
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 02 juin à 20:17
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