Pour agir et tenter de monter quelques marches vers le mieux être, je pratique depuis peu le judo, la voie de la souplesse. Les premières leçons ont été consacrées à apprendre à chuter, ramasser une gamelle sans se faire mal, sans se crisper comme sur l’escalier du bonheur. Tomber avec aisance, prudemment, tout en douceur. Cent fois par entraînement, je suis à terre et je me relève. Cela me fait penser à un moine à qui l’on demandait ce qu’il fabriquait dans un monastère. Il répondait : « Je tombe, je me relève, je tombe et je me relève. » Là aussi, il s’agit de ne s’accrocher à rien. Quand la joie me visite, je la laisse habiter en moi, lorsqu’elle me déserte quelque temps, je ne m’affole pas. L’autre jour, à l’entraînement, un jeune homme a longuement sangloté. Il avait sans doute descendu quelques marches dans l’escalier de la performance. J’ai beaucoup pensé à lui. Je pleure parfois mais pas pour le judo. Sur le tatami, à chaque fois que je tombe, je rigole plutôt car, me revient à l’esprit la parole d’un médecin qui me prédisait que je ne marcherais jamais. C’est certainement l’avantage de partir du plus bas de l’échelle. Mais voilà que je dégringole méchamment si je commence à faire des hiérarchies. Chaque marche est occasion.
Alexandre Jollien est un philosophe et écrivain né en 1975 à Savièse, en Suisse. Son dernier livre, le Philosophe nu, est paru au Seuil. (Source : La Vie 2011)