Au détour d'une allée du Salon, samedi 30 avril 2011, j'ai ainsi fait une heureuse rencontre, celle de Roger Cuneo, l'auteur de Maman, je t'attendais, dont j'ai parlé sur ce blog il y a tout juste deux ans ici et qui s'en souvenait très bien.
Ce livre m'avait ému aux larmes, parce que l'auteur y faisait preuve d'authenticité en racontant ses malheurs, sans se livrer pour autant à des jérémiades, alors qu'il y aurait eu vraiment de quoi.
Peu de temps après la mort de leur père, leur mère, très belle femme, mais malade du jeu, les a en effet, lui et sa soeur Anne, l'écrivain et journaliste bien connue, placés dans des orphelinats religieux où les mauvais traitements moraux et physiques ébranleraient la foi la plus solide de n'importe quel charbonnier.
Il faut croire qu'Anne et Roger avaient l'un et l'autre une trempe peu commune pour survivre à une telle situation. Il n'empêche que Roger me semble en avoir davantage souffert qu'Anne, parce qu'il était plus jeune quand leur mère les a mis dans cette situation, et qu'en conséquence il devait être plus vulnérable encore.
A 73 ans la blessure est encore ouverte chez Roger. Il ne se remet toujours pas de la phrase qu'a écrite sa mère, âgée alors de 60 ans, dans le résumé de sa vie (il n'a pas pu se retenir de me la répéter d'entrée lors de notre rencontre), sur laquelle il était tombé en en faisant une lecture moins négligente qu'auparavant :
"Si ma vie était à refaire, je la recommencerais exactement de la même manière, je ne regrette rien."
C'est cette phrase qui a poussé Roger à écrire le premier livre dans lequel il raconte sa version des relations d'amour-haine envers sa mère, qui ne regrette rien, y compris donc d'avoir abandonné ses enfants à des hommes et femmes ignorant l'affection que l'on doit naturellement donner à des enfants. Le Seigneur ne demandait-Il pas pourtant de les laisser venir à Lui ?
Le premier livre nous raconte la vie de Roger dans des orphelinats, alors qu'il a de 7 à 16 ans. Le second, Au bal de la vie, paru chez Favre ici, en est la suite. Roger a donc 16 ans au début du livre et il est livré à lui-même. Il est admis à l'Ecole de Commerce de Lausanne, mais il doit travailler pour vivre et se loger. Il ne peut pas compter sur l'argent que sa mère lui envoie aléatoirement.
C'est au contraire la mère de Roger qui finit par lui emprunter de l'argent, sans jamais le lui rendre, maintenant qu'il a des rentrées, pourtant tout juste suffisantes pour lui, profitant de ce sentiment ambigu d'amour-haine qu'il éprouve pour elle... et qu'il sera nécessaire pour lui de mettre à plat en écrivant ces deux livres.
Dans ces conditions il est bien difficile de faire des études. Travailler au bas de l'échelle sociale, en dehors des heures de cours et pendant les vacances - pour gagner donc peu de chose - et jouer au football parce qu'on est doué, qu'on vous a remarqué et qu'on vous apprécie, vous laissent en effet peu de temps pour les réussir.
S'il finit par les réussir, en dépit de toutes ces vicissitudes, après avoir évité le pire, c'est-à-dire la délinquance, il le doit à l'amitié vraie qu'il suscite autour de lui et qui n'a rien à voir avec la pitié ou la compassion, mais surtout à voir avec l'exemple qu'il donne aux autres. Il les épate par sa bonne humeur et sa force qui ont toujours finalement raison de sa fragilité.
Peu à peu, grâce à ces amitiés, qu'il fait naître très naturellement autour de lui, il découvre la vie et l'affection dont il a été tant privé, à commencer par sa propre mère.
Ainsi sa soeur le pousse-t-elle dans ses études; son camarade d'école, Maurice l'initie-il à la littérature; Ferdinand, le marchand d'antiquités, lui trace-t-il la voie exigeante de la musique; ses co-équipiers de football lui font-ils fête; ses camarades d'école l'accueillent-ils dans leur groupe d'entraide; Louise, sa collègue de travail, lui dévoile-t-elle l'âme féminine et lui ouvre-t-elle d'autres perspectives en dansant avec lui; Danièle, sa première épouse, lui offre-t-elle, pour ses 20 ans, le somptueux cadeau d'un fils.
Pour ceux qui ont eu, comme moi, une jeunesse et une adolescence dorées, sans souci matériel, bénéficiant de l'affection jamais démentie de leurs parents, ce livre ne peut que susciter l'admiration pour l'auteur qui s'en est aussi bien sorti, même s'il lui "a fallu trois mariages pour parvenir à une stabilité affective".
Le récit de ces années de galère, comme on dit aujourd'hui, qui se déroulent dans les années 1950, est une véritable leçon d'énergie, à l'usage de ceux, qui, à un moment donné ou à un autre dans leur vie, seraient tentés de désespérer.
Francis Richard