Mandrin et Robin des bois à la turque
C’est une grande saga que vient de rééditer Gallimard, les quatre volumes des aventures de Mèmed le héros de Yachar Kemal
Les quatre tomes ont été publiés entre 1955 et 1987 c’est dire qu’il a pris son temps !
Ma lecture de Kemal est toute récente, sa trilogie Une histoire d’île dont les deux premiers tomes sont parus m’a beaucoup plu, aussi quand Sibylline a eu la bonne idée de faire de Yachar Kemal l’écrivain du mois j’ai profité de l’aubaine.
Mais commençons par le commencement et le roman d’ouverture Mèmed le mince.
Nous voilà transporté sur « les contreforts montagneux du Taurus » en Anatolie.
Cinq villages vivent sous la coupe du terrible Abdi Agha, la terre est ingrate, la récolte de coton ne nourrit pas les familles, les villageois subissent le joug d’Abdi Agha, tafics, corruption, bastonnades et brimades en tous genres, tout est bon pour pressurer les villageois.
Mèmed est le bouc émissaire du tortionnaire et il tente de s’enfuir et pendant quelques jours « Il se sentit soudain léger comme un oiseau paisible.» mais le bonheur est de courte durée car toute opposition est vaine et pour protéger sa mère il est contraint de rentrer.
Mèmed le Mince est pauvre « la maison de Mèmed n’a qu’une seule pièce » , il est tout en jambes, maigrelet mais plein d’astuce et de courage, affamé aussi mais autant de justice que de pain. Mais ce sont ses yeux qui disent tout « sa vitalité, sa haine, son amour, sa peur, sa force »
Et si Abdi Agha mourrait ?
Pourrait-on imaginer un village sans Agha pour le gouverner ? y a t-il une fatalité qui fasse que Hatçe la belle, l’amour de Mèmed soit fiancée de force au neveu d’Abdi Agha ? Toutes ces questions tournent dans la tête de Mèmed, et si Abdi Agha mourrait ?
Et voilà Mèmed qui passe de la colère à la rébellion, qui va lier son sort à celui de brigands et prendre le maquis en s’enfuyant dans les montagnes.
Et bientôt « Dans la Çukurova et dans les montagnes du Taurus, l’histoire de Mèmed le Mince circulait de bouche à oreille en s’amplifiant. »
Voilà un sympathique héros, un Robin des bois moderne, un Mandrin d’Anatolie. Il y a tout dans ce récit, les poursuites, la révolte, le courage et la ruse du jeune homme, l’amour contrarié pour sa belle. Par dessus tout il y a la lutte contre l’asservissement de l’homme, la soif de justice et de liberté.
C’est une Turquie moyenâgeuse et féodale, que Yachar Kemal nous dépeint. Dans cette belle chanson de gestes digne des bardes qui de villages en villages chantaient le courage des bandits d’honneur, il y a tout l’amour de l’auteur pour cette terre âpre qui est la sienne. Lui qui a fait tous les métiers pour pouvoir écrire il tient là sa revanche, Mèmed le Mince c’est lui.
A très bientôt ici la suite des aventures de Mèmed
l’auteur : En préface on peut lire le condensé du livre d’entretiens d’Alain Bosquet avec Yachar Kemal, qui parle de son enfance, de ses lectures, de son évolution comme écrivain, de ses combats politiques en tant que Kurde. Très éclairant.
Le livre : La Saga de Mèmed le Mince - Yachar Kemal - Traducteurs multiples - Gallimard Quarto