1- L'éveil d’un sourire
La France secouée par tous ces tremblements commençait à refaire surface. Péniblement, maisons après maisons, la vie reprenait sa place dans les rues. La peur disparaissait. Les familles se réunissaient. Les soldats redevaient des pères tranquilles, tandis que certains cherchaient encore le chemin de leur bonheur. La nuit gardait leurs mystères et leurs ombres. Parfois il arrivait qu’un groupe, d’hommes et de femmes dépaysés, traversait les campagnes, baluchons sur le dos. Les déportés arrivaient en grand nombre. Les haillons collés à leur corps frêle montraient leur grande souffrance. Montluçon devenait le silence. Un silence si lourd, un silence si fort que nul n’osait lever la tête. Doucement, les gens se rapprochaient craignant de se tromper tellement la guerre les avaient défigurés.
O douleur de la mort enfouie sous les décombres, quelle était donc cette force destructrice capable d’anéantir un monde entier ?
A Montluçon, le nombre des arrivants ne cessait d’augmenter. La municipalité devait faire face au problème des logements. C’était la déroute. Puis peu à peu, avec courage la ville retrouva une vie. Les rues reconstruites accueillirent les nouveaux commerces. Les bals et fêtes foraines apportaient toute une gaité, une joie frénétique de l’après-guerre.
Quatre années s’étaient écoulées, depuis que Marilyn avait perdu son père. Elle était devenue une belle jeune femme de vingt deux ans. Elle était plus resplendissante que jamais. Ses grands yeux noisette s’éclaircissaient à la lumière ciel éblouis par les rayons du soleil ils prenaient des tons si clairs qu’on aurait pu penser qu’ils étaient bleus.
Le jour du dominical, tant attendu, Marilyn revêtait une jolie robe blanche rehaussée dans son éclat par une collerette de dentelle en coton torsadé violet. Ses longs cheveux roux, détachés, retombaient sur ses épaules, telle une crinière au vent. Elle avait rendez-vous. Au bal masqué du 1er mai, avec Robert, dont le visage était souligné par une barbichette laissant deviner un petit menton rond qu'il touchait de ses mains, comme s’il réfléchissait fortement ou comme si quelques ennuis le tracassaient. Pour l’occasion, il avait sorti de son placard, un costume flanelle destiné aux grandes occasions, et, portait de belles chaussures noires bien cirées.
Des les premières notes, ils s’élancèrent sur la piste, discrètement, ils s’enlacèrent. La musique les enveloppait d’un doux mystère qu’aucun autre bruit ne pouvait les déranger. Il était tombé littéralement sous son charme, il déclara sa flamme d’amour avec force, plus personne n’avait d’importance, si ce n’est que ces jolies prunelles qui le regardait avec tant d’extase.. Il savourait l’odeur des fines boucles qui glissaient délicieusement sur la nuque de sa partenaire. Dans un tourbillon de valse, soudain, en pleine salle, sa cavalière trébucha. Il la retint gauchement et timidement l’embrassa. Leur cœur battait si fort, si fort. Leurs regards en disaient long sur l’envie d’être au plus l’un de l’autre. Un désir si intense de se rapprocher, de se serrer tout près de l’autre. Ensemble, ils rougirent. Sortir, s’éloigner de cette musique endiablée, s’enlacer. Voilà ce à quoi pensaient nos deux tourtereaux. L’air frais les ravigota. Ils restèrent ainsi debout face à face, un long moment. Il y avait lui, il y avait elle. Eux...seulement eux deux.
« Nous vous cherchions. Vous nous abandonnez ! Et copain, copine, et nous alors.
- Retournons danser, Cécile et Georges nous attendent. Dit allégrement Robert
- Non, attends un peu, juste un tout petit peu, je suis si bien ainsi ma tête sur ton épaule. Je n’ai pas du tout envie de retourner dans cette fournaise. Je veux juste que nous nous aimions encore et toujours. Rétorqua Marilyn d’une voix douce. »
Cécile, l’amie d’enfance, riait de les avoir surpris en plein débat.
« Maintenant, Robert, tu ne peux plus reculer. Tu dois te rendre chez elle, affronter sa terrible tante, et ses gâteaux aux noix ! » Lança-t-elle joyeuse.
Il décida d’aller, le dimanche prochain, chez sa bien-aimée et de passer le barrage de sa tante Arlette car c’est chez-elle qu’elle avait été recueillie après la guerre. Cette petite bonne femme de un mètre soixante en avait sauvé plus d’un disait-on dans le quartier. Plein de courage et bonne humeur, il s’empressa, d’une main tremblante, d’appuyer sur la sonnette. Son cœur battait la chamade. La porte s’ouvrit. Il se mit à bégayer.
« Ma...Madame, me...me permettez vous d’emmener Marilyn votre nièce, au bal de ce dimanche ? Ce serait un grand honneur. »
Robert dont le regard était franc et rieur, se montrait un peu timide. Il avait choisi d’enfouir une rose rouge dans la pochette extérieure haute de sa veste en velours gris, sans omettre d’en tenir une blanche dans sa main droite pour l’offrir à l’hôtesse de maison. Arlette, qui avait coutume d’entendre des coups de sonnettes et des demandes d’invitation pour sa nièce, fut cette fois-ci moins suspicieuse.
« Entrez. Vous prendrez bien un café ? »
Maladroitement, il fit un pas en avant en lui offrant la rose qu’il tenait dans ma main. D’un signe de tête, accompagné d’un large sourire, elle l’invita à le suivre. Ils se dirigèrent vers l’unique pièce qui faisait office de salon, de salle à manger et aussi chambre à coucher. Les lits étaient dissimulés derrière un grand rideau blanc cotonneux. Nerveusement, il accepta volontiers la tasse de café dans sa main droite et la soucoupe dans sa main gauche, en évitant de balancer sa jambe qui était croisée sur l’autre. Ses chaussures noires brillaient tellement que le soleil paresseusement glissait son rayon. Il prit une grande respiration discrète. Dans l’attente, chacun avait du mal à lancer le premier mot d’une conversation.
« Dans quel atelier travaillez-vous ? Vous êtes bien à la mine, n’est ce pas ? Comment avez-vous rencontré ma nièce, dites-moi ? »
Robert, un peu embarrassé, répondit volontiers.
« Effectivement, mais le poste que j’occupe est celui de conducteur de travaux. »
- Bien, bien, cela me rassure, car il y a tellement d’accident dans ses mines. »
Elle passa en revue toutes les questions. Il répondait docilement, avec le sourire.
Enfin, Marilyn se montra. A la vue de ce jeune homme qu’elle trouvait beau et élégant, ses joues prirent une couleur rosée.
« Ce jeune homme, Robert, souhaite aller au bal en ta compagnie, et je lui ai donné ma permission. Il me semble très bien ce jeune homme et il m’a tenu la promesse de te raccompagner à une heure convenable.
- Ma tante, je suis ravie. Nous ferons attention et je ne ferai pas de bruit en rentrant, je te le promets
- Allez jeune gens sinon le bal se finira. Et vous, jeune homme, revenez donc Dimanche prochain partager notre repas. »
La demande étant faite, les deux jeunes se dirigèrent vers la sortie. La joie se lisait sur leur visage. Leurs cœurs bondissaient comme s’ils allaient sortir de leur poitrine. Discrètement, du coin des yeux, Marilyn regardait Robert fumant une cigarette comme si que c’était un objet précieux. Elle savait que c’était l’homme de sa vie.
Ils dansèrent, dansèrent… Elle, qui avait chaussé des petits escarpins blancs, n’eut mal ni aux pieds, ni à la tête. C’est en ce dimanche de fin de printemps qu’ils se promirent l’un à l’autre fidèlité.