Une visite chez Marionnet

Par Mauss
Nous avons déjà dit à quel point Madame Marionnet est une cuisinière comme on en fait plus.
Bénéficiant de l'éducation rigoureuse que nos générations ont connue, nous avions naturellement téléphoné préalablement pour annoncer cette venue. Ça tombait bien : deux autres invités étaient déjà sur place : Daniel Benharos et l'imposant Alain Sarraute, deux pointures dans le monde du vin que je ne rencontre que trop rarement. Embrassades, poutous-poutous, trois minutes de nostalgie et on passe au travail : taster les vins qu' Henry Marionnet, présent sur son Domaine de la Charmoise, nous a préparés… à l'aveugle.
Le pas assez connu Romorantin pré-phylloxérique "Provinage" 2000 ouvre les débats avec classe, précision et longueur. Je m'étonne qu'il ne bénéficie pas d'une AOC à lui, comme Château Grillet, tant il faut défendre les cépages rares, ces vignes de plus de 150 ans, d'autant plus que je connais pas mal d'AOC dont les qualités sont loin (euphémisme) d'arriver à la cheville de ce vin pratiquement unique : mais que fait la police ! Coucou, l'INAO, coucou !

Nous passons à table où les asperges locales posent la difficulté d'un mariage mets-vins. Daniel Benharos rappelle une expérience avec un jeune sauternes ou un alsace type VT, approuvé en cela par Alain Sarraute, et nous voilà à déguster avec précaution la Cuvée M 1989 qui fut un jour le plus beau sauvignon blanc lors d'une compétition mondiale. C'est simple : le mariage fut consommé sans aucun problème, les deux parties se respectant mutuellement et s'offrant l'une à l'autre avec élégance, délicatesse, amour et harmonie.

Une table de rêve  On aurait pu déjeuner dehors :
Des assiettes spécifiques pour les asperges : c'est M'me Michu qui va être étonné !

Il y a encore en France des tables où le déjeuner reste un sérieux moment de convivialité.

Nous étions près pour les choses sérieuses.

Trois verres devant nous, un service impeccable par Marionnet Junior avec comme seule indication : "même millésime"… que naturellement nous ne trouvons pas. Alain se risque sur 2005 : il ne se tromple guère : bravo !
Si les deux premiers vins semblent bien locaux à tout le monde, le troisième est vite identifié comme un pinot noir bourguignon par Benharos; j'approuve sans réserve, mais totalement incapable de le situer en côte de nuits ou de beaune. Il avait le soyeux des nuits, l'élégance racée des vosne mais sans cette fraîcheur à laquelle nous ont habitué les vins de Rousseau, Mugnier, DRC. Et il avait la rondeur des plus beaux beaune.
Bon : c'était relativement facile de trouver les régions
Deux vins "plaisir" niveau 2 et 3. Un vin "émotion" niveau 2
Dévoilées, ces bouteilles confirment nos hypothèses. Mais que j'eusse aimé un peu plus de structure, d'énergie dans le Richebourg ! Bon, il est bien jeune et nous l'avons probablement réveillé à un temps inopportun. Ceci dit, dès le nez, la signature "Bourgogne" est évidente. Je répète, clairement un vin d'émotion.
L'anguille au vin rouge garde toute sa finesse, ne change en rien la palette des crus, bref : tout va bien.
Un mets d'une finesse rare… quand il est préparé, comme ici, à la perfection.


Trois nouveaux verres devant chaque convive, et trois nouveaux vins servis à température parfaite.

Si le dernier est manifestement exotique et ne suscite aucun laudanum, le premier est jugé assez quelconque par tous les convives. Si nous sommes tous d'accord à citer Bordeaux et la rive gauche, personne ne pense à une pointure. Eventuellement un grave : même pas un pessac-léognan.
Le second suscite mon enthousiasme immédiat, tant il navigue en haut de l'affiche avec une classe immense, une race d'exception, une finesse de référence et une complexité de haut vol. J'en prends in petto trois gorgées de suite, histoire de confirmer et mémoriser ce chef d'oeuvre. C'est vous dire ! On me rejoint vite là où je suis.
Les 3 vins sont du même millésime : 1998. Si on peut envisager - dans un moment de totale mansuétude - un éventuel petit potentiel de vieillissement positif pour le premier, le second est tellement beau qu'en aurai-je en cave, je les dégusterai sans peur et sans reproche.


Mes enfants ! Quelle déception avec ce Lafite 98 : une quelconsité navrante. Ordinaire, boring, ne présentant strictement aucun intérêt. Et nous sommes tous d'accord sur ce jugement. Qu'on ne vienne pas me dire qu'à 12 ans, un tel vin ne devrait pas offrir des perspectives de premier ordre, à défauts de qualités supérieures. Bien évidemment, tout le monde acquiesce quand je souligne à quel point nous n'aurions jamais dit cela s'il avait été servi étiquette découverte. Que cette expérience me conforte dans l'idée que l'aveugle est la porte de l'honnêteté !
Diamétralement opposé, le Vega Sicilia (j''ai cité VCC, Trotanoy, La Conseillante) était simplement inouï. Un vin "émotion" niveau 3 une classe en soi, une quasi perfection. Quelle beauté ! Quelle grâce ! Quelle finesse ! Mama mia !
On oublie le merlot du Chili, trop exotique et donnant des impressions de sucraillon inutiles.
Avant de reprendre la route vers 16H30 (nous avions peu bu, beaucoup dégusté), quelques gorgées légères des Marionnet 2009, dont la cuvée "ma première vendange", histoire de rappeler à tous les amateurs que vous avez dans ce Domaine de la Charmoise, des vins au RQP à pleurer, tant il est vrai qu'avec le prix d'une bouteille bordelaise autour de € 100, vous avez ici une caisse de 12 bouteilles qui, chacune, vous offrira un plaisir passablement supérieur… pour autant que vous soyez honnête avec vous-même.

Ne soyons pas sectaire :
il se peut que cette si navrante bouteille de Lafite 98 a été ouverte à une période peu appropriée : mais est-ce bien raisonnable, une telle situation pour un vin de ce prix ? Un accident ? Mais de quoi ? Bref, il me tarde d'en redéguster une autre, toujours à l'aveugle, pour savoir si oui ou non, ce cas était une exception.

Un grand merci du coeur à la famille Marionnet qui reçoit avec classe et modestie. Offrir ainsi de si grandes et coûteuses bouteilles, ce n'est pas si fréquent ici ou là. Quelle belle leçon de choses et de vie !