« La jeunesse attend des candidats capables de dessiner la projection de leur avenir »

Publié le 06 mai 2011 par Cahier

Alors que le compte à rebours vient de s’enclencher, les candidats potentiels à l’élection présidentielle de 2012 multiplient les prises de parole. Progressivement, le sujet de la jeunesse semble émerger comme un des thèmes phares de cette campagne. Pour nous éclairer sur le rapport que la jeunesse de France entretient avec la politique, Délits d’Opinion a rencontré Anne Muxel, directrice de recherches CNRS en science politique au CEVIPOF et auteure de l’ouvrage, Avoir 20 ans en politique : les enfants du désenchantement.  

Délits d’Opinion : On a souvent entendu dire que la jeunesse des années 2000 était moins politisée que celle des années 1960-1970. Mythe ou réalité ?

Anne Muxel : « Depuis de nombreuses années j’ai pu vérifier, au travers de mes travaux de recherches, que c’était une idée reçue. Selon moi, la jeunesse d’aujourd’hui n’est absolument pas dépolitisée mais sa politisation s’opère différemment. Le rapport qu’entretient la jeunesse au politique est propre à notre époque et cela explique les difficultés qu’ont un grand nombre d’observateurs lorsqu’il s’agit d’évoquer ce sujet. La politisation dans une nouvelle forme s’explique tout d’abord par une évolution profonde du cadre politique français et de la manière dont la politique s’opère chaque jour.   

Il est également important de ne pas exagérer le mythe d’un âge d’or politique au cours des années 1960 et 1970. En effet, le poids de certaines images lors d’événements marquants comme mai 1968 ne doit pas venir troubler la réalité de l’époque. La majorité des jeunes n’étaient pas sur les barricades du quartier latin et les forces politiques d’extrême gauche ne rassemblaient qu’une petite minorité des étudiants français. 

La politisation s’inscrit donc dans un nouvel environnement : en 2011, environ 1 jeune sur 2 a déjà pris part à des manifestations de rues alors qu’en 2007 la participation électorale des 18-25 s’est située à un niveau équivalent à celui du grand public ».  

Délits d’Opinion : Comme interprétez-vous le recul de l’abstention de 2007, en particulier chez les plus jeunes, les primo-votants ? Au regard du contexte actuel, comment envisagez-vous l’élection de 2012 du point de vue de la participation ?

Anne Muxel : « De tous les scrutins de la Ve république, l’élection présidentielle demeure la plus mobilisatrice ; le système politique offrant au président une grande influence sur la conduite des affaires du pays. Chez les plus jeunes on note une persistance du poids de cette élection alors que la mobilisation tend à décroître lors des autres scrutins. La présidentielle personnalise le choix et dramatise le duel entre deux individus, autant d’éléments qui permettent d’expliquer le déplacement en masse des jeunes aux urnes. On note en 2007, en particulier lors du second tour, que la personnalisation de l’élection a joué un grand rôle, en particulier chez les primo-votants qui n’ont pas toujours des préférences politiques très constituées.   

Si on regarde ce qu’il s’est produit lors des précédentes élections présidentielles, on peut noter que la mobilisation de 2002 a été surtout forte au second tour lorsqu’une grande partie de la jeunesse s’est déplacée dans la rue pour s’opposer à Jean-Marie Le Pen. En 2007, l’offre politique avait permis une mobilisation relativement forte lors des deux tours. Pour 2012, il est sans doute encore un peu tôt pour établir des scenarii car l’offre politique n’est pas encore définitive. Cependant, l’évolution du rapport de force que mesurent les sondages pourrait faire rejaillir le souvenir du 21 avril 2002 et remettre au goût du jour la notion de vote utile pour s’opposer à la présence du FN au second tour ».

Délits d’Opinion : Il est frappant de constater que la jeunesse confie une peur grandissante du déclassement social. Comment expliquez-vous ce ressenti ?

Anne Muxel : « Ce sentiment existait depuis plusieurs années chez des jeunes mais force est de constater qu’il s’est récemment aggravé. Les jeunes générations sont nées dans la crise, qu’elle soit sociale ou économique, et n’ont que ce contexte comme référence. Bercé par un chômage de masse, en particulier en ce qui les concerne, ils savent que leur vie, sociale et professionnelle, sera plus difficile et plus tendue que celle de leurs parents.

Cette génération n’a pas connu le climat de sérénité et de confiance dans lequel leurs parents ont évolué lors de leur entrée dans la vie active. Si pendant longtemps on a évoqué un freinage puis une panne de l’ascenseur social, on constate aujourd’hui un vrai risque de décrochage de celui-ci. En effet, le combat des jeunes générations semble être devenu celui de la conservation du niveau social avant même de penser à son amélioration.   

Les nombreuses enquêtes dont le baromètre du CEVIPOF souligne que près des 2/3 des Français considèrent qu’ils auront plus de difficultés dans la vie que les générations qui les ont précédées. Ce chiffre met bien ne lumière la défiance grandissante à l’égard d’une société qui fragilise et au sein de laquelle l’insertion sociale est de plus en plus dure. Les sentiments qui émergent, en particulier chez les jeunes, sont ceux de vulnérabilité et de précarité. Des sentiments qui se retrouvent aujourd’hui dans toutes les couches de la société même si le diplôme permet de diminuer les risques de chômage. Ainsi, malgré l’hétérogénéité de la jeunesse comme groupe social, il est évident qu’il existe une « expérience sociale commune » de la difficulté de trouver sa place dans notre société ».  

Délits d’Opinion : Si le désamour du grand public pour la politique se confirme, celui de la jeunesse est plus problématique car il met en lumière l’incapacité du pouvoir politique à changer les choses. Qu’attendent les jeunes de la part des responsables politiques ?

Anne Muxel : « Plus encore que le grand public, les jeunes attendent des réponses et des actes pour répondre à leurs interrogations car c’est de leur avenir dont il est question. Ils souhaitent voir des responsables politiques capables de dessiner la projection de leur avenir. Cette mise en projection qu’ils appellent de leurs vœux concerne à la fois leur avenir personnel mais aussi collectif.

Cette demande apparaît comme une nécessité pour cette jeunesse qui constate depuis quelques années la panne du discours politique quant il s’agit d’aborder l’avenir. Cette thématique qui avait quasiment disparu est revenue sur le devant de la scène à l’occasion de la campagne de 2007. Pourtant, les réponses apportées par le gouvernement actuel sont souvent perçues comme privilégiant l’immédiateté, et rejetant ainsi à plus tard la nécessaire réflexion sur l’avenir ». 

Délits d’Opinion : La jeunesse semble en passe de devenir un sujet majeur de 2012. Comment l’expliquer ?

Anne Muxel : « Toutes les forces politiques qui se lancent progressivement dans le combat politique pour 2012 ont pris conscience du besoin de donner un cap et de construire un discours d’avenir, pour la jeunesse mais également pour toute la société. De nombreux leaders, principalement à gauche, l’éclaireur en la matière ayant été François Hollande, se sont déjà emparés de ce sujet, convaincus qu’à travers lui c’est l’ensemble de la société qui doit disposer d’un projet d’avenir capable d’opérer la projection de tous. Tous les candidats potentiels semblent avoir saisi l’objectif de cette tâche qui peut contribuer à restaurer une crédibilité de l’action politique, très entamée, en particulier aux yeux des plus jeunes ».

Propos recueillis par Raphaël Leclerc