Je me suis toujours interrogé sur notre regard de démocrate sur la situation ivoirienne. Et aujourd’hui, quand j’observe ce qui se passe…J’ai de la peine à voir le sens que nous donnons au mot démocratie. Si des arguments existent pour relativiser l’attitude démocrate de Gbagbo, je suis étonnée sur les yeux fermés sur le cas Ouattara…et sur le calvaire ivoirien actuel.
Lorsque les élections ont été organisées, les rebelles n’étaient pas désarmés alors que les accords de Ouagadougou le prévoyaient, on nous a dit, c’est pas important, les gens en parlent juste parce qu’ils veulent garder le pouvoir, il faut y aller, fermez les yeux.
Lorsque le premier tour s’est tenu, des violences ont commencé à être signalées ainsi que la circulation d’armes, Laurent Gbagbo s’est cru prudent de devoir décréter un couvre-feu afin de sécuriser les élections…On a dit : « encore des problèmes…il n’y a rien de grave… il faut y aller, fermez les yeux. »
Lorsque les premières images des violences du second tour ont commencé à circuler sur internet et dans les médias ivoiriens qui n’étaient encore ni pro-gbagbo, ni pro-ouattara…on a aussi dit là dessus : « c’est pas trop grave fermez les yeux ! »
Lorsqu’à l’issue des élections, la CEI a proclamé les résultats en dehors du temps légal et au QG d’Alassane Ouattara, on a encore dit là aussi , « c’est pas grave, laissez tomber…fermez les yeux ! »
Lorsque Gbagbo a fait un recours sur le motif que près de 2200 PV étaient problématiques…500PV avaient 0 voix pour Gbagbo quand ils étaient tous supposés en avoir au pire, au moins 02 et plusieurs autres avaient plus de votants que d’inscrits…là, aussi, on a dit, de toutes les façons, ADO a gagné, Choi a certifié…pour le reste, fermez les yeux !
Lorsqu’il a été remarqué que de Laurent Gbagbo n’était pas prêt à quitter le pouvoir et était prêt à tout pour rester et que de l’autre côté, l’on se rendait compte que les 2200 PV querellés étaient le signe que Ouattara lui non plus avait anticipé un plan B au cas où il aurait des difficultés et qu’il était engagé au « moi ou rien »…on a dit bof, sur les PV querellés de toutes les façons il ne peut pas avoir été battu dans son fief…quant à sa tricherie « préventive », c’est pas si important que ca…fermez les yeux !
Lorsque la France et les USA ont pris d’office parti pour Ouattara et ont entrainé « la communauté internationale » à faire de même en fermant les yeux alors qu’il y avait un différend électoral…on a aussi là, c’est pas un problème…il n’y a aucune anormalité…bref, fermez les yeux.
Lorsque Thabo Mbecki, le premier médiateur de l’union africaine a rendu sa copie après avoir rencontré les différentes parties en Côte d’Ivoire et qu’il signalait qu’il y avait effectivement problème dans la démarche et qu’il fallait aborder cette crise autrement…on a mis de côté son rapport et on a dit : fermez les yeux.
Lorsque des dissensions ont commencé à se faire voir au sein de l’union africaine sur l’approche de la crise ivoirienne…on a relativisé et on a dit..bah, des amis à Gbagbo…ils ne disent rien de bon, sur leurs avertissements, fermez les yeux !
Lorsque les violences ont commencé dans les rues d’Abidjan et qu’on signalait que les ivoiriens partisans des deux camps allaient trop loin…on a dit, les partisans de Gbagbo sont responsables, pour ceux de Ouattara, fermez les yeux !
Lorsque les médias français s’y sont mis pour envenimer la situation en diffusant des montages de meurtres et en accusant systématiquement une seule partie du conflit…là aussi, on a dit…après tout, c’est Gbagbo le responsable…pour le reste, fermez les yeux !
Quand la collusion ONUCI-rebelles-France a commencé à être pointée du doigt et que les forces impartiales ont été doigtées pour leur extrême partialité…on a dit là aussi, fermez les yeux !
Quand Choi a tenté d’accuser Gbagbo de se procurer les armes et que ses oreilles ont été tirés par l’ONU pour informations fausses…tandis que l’ONUCI et la France armaient les rebelles et leur apportait un soutien stratégique sans que personne ne veuille en parler…y a rien à voir, nous a t -on dit, fermez les yeux !
Quand les médias français ont légitimé les rebelles et que ceux-ci ont voulu faire croire qu’ils étaient une force républicaine…on a dit : » bah, sur le fait qu’ils sont une rébellion qui a déjà prouvé qu’elle est sanguinaire…fermez les yeux ! »
Quand les rebelles ont commencé leur remontée dans le pays et que les premiers massacres ont commencé…on a essayé de relativiser tout cela en nous disant, bah, le camp Gbagbo aussi fait des victimes, donc, fermez les yeux !
Quand le nombre de morts tués par les rebelles a atteint des chiffres a faire froid et que personne ne se préoccupait plus de les compter comme on le faisait quand on pouvait accuser Gbagbo de tout et de rien…on a aussi dit : fermez les yeux !
Quand la France a torpillé les emetteurs de la RTI et tué des civils sous le prétexte qu’elle devait détruire les armes lourdes du camp Gbagbo et protéger celles du camp Ouattara, tout ca sous une résolution de l’ONU qui semblait pourtant claire: silence complet. Fermez les yeux !
Quand enfin, la France a commencé à bombarder la résidence de Gbagbo, prenant tous les prétextes possibles…on a dit, c’est bon, qu’ils y aillent…de toutes les façons, il faut tuer ce Gbagbo…pour les modalités, fermez les yeux !
Quand elle est entré dans la résidence capturer le président pour le remettre aux rebelles, on a dit…ce sont les rebelles…ne cherchez à rien comprendre et fermez les yeux !
Quand bien même avec l’enlèvement et emprisonnement de Gbagbo, des voix ont signalé qu’ils ne voyaient pas comment Ouattara était président de la Côte d’Ivoire, n’ayant aucun mandat, aucune reconnaissance juridique, aucun pouvoir légalement conféré…on a dit, on s’en fout, il est président, fermez les yeux !
Quand Abdoulaye Wade, le président sénégalais déclare que l’arrestation de Gbagbo est une bonne chose pour la démocratie…alors qu’il veut modifier la constitution pour régner éternellement, qu’il confie plusieurs ministères à son fils…et que l’on veut s’interroger de quelle démocratie il parle…on dit encore : fermez les yeux !
Quand les premiers meurtres après l’arrestation de Gbagbo ont commencé et qu’on racontait sur ces meurtres toutes sortes de versions…là aussi, on a dit fermez les yeux !
Quand ensuite les exécutions ont commencé à se systématiser selon qu’on avait soutenu Gbagbo ou pas…on a dit, Ouattara est au pouvoir, il y a la démocratie en Côte d’Ivoire…pour le reste fermez les yeux !
Quand Ouattara décide d’emmener Gbagbo dans son fief, vers une destination inconnue et que l’on se demande s’il en a le droit….on nous demande encore de fermer les yeux.
Quand Ouattara décide d’envoyer Gbagbo au CPI pour les mêmes raisons pour lesquelles lui-même devrait passer au CPI…on dit, vous parlez de quoi…vous ne pouvez pas fermer les yeux ?
Quand des personnsalités du régime Gbagbo sont violées, exécutées alors qu’elles sont emprisonnées et que désormais la loi du silence règne sur les crimes en Côte d’Ivoire…Quand les prisonniers sont déportés dans endroits sans contact avec un conseil juridique ou même simplement avec leurs familles, vers la mort ou des destinations infernales, on nous dit que Ouattara appelle à la réconciliation et que pour le reste, il faut fermer les yeux !
Et quand le cri du génocide se fait de plus en plus fort dans un environnement où la Côte d’Ivoire réelle des meurtres et d’exactions a cessé d’exister aux yeux du monde pour laisser place à celle d’un Ouattara conquérant dans les médias…on nous dit encore fermez les yeux !
Quand des voix s’élèvent pour signaler que pour accepter tout ce qui est dit plus haut là, il faut vraiment fermer les yeux…on nous dit…bah, fermez les yeux !
Quand on demande de savoir où est la démocratie dans toute bêtise…la même réponse : » elle est dans kes yeux fermées ».
Quand on signale qu’à se fermer les yeux comme ca, ils vont se percer seul pour un jour être obligés de confronter la réalité et l’horreur, on nous dit : fermez les yeux !
C’est vrai que le seul moyen de trouver de la normalité dans tout ce qui se passe en Côte d’Ivoire depuis longtemps, le seul moyen de voir dans le règne de Ouattara de la démocratie, le seul moyen d’être ainsi coupable du silence qui terrorise désormais les ivoiriens, le seul moyen d’avoir la conscience tranquille d’avoir été un démocrate en soutenant Ouattara et en maudissant Gbagbo (ni l’un ni l’autre n’étant des saints), c’est véritablement de fermer les yeux sur toute la réalité en Côte d’Ivoire !
Et j’ai crainte…on sera obligé de les ouvrir un jour pour découvrir l’horreur…quand un trosième larron viendra mettre de l’ordre dans tout ca !