On sait que notre auteur mène deux carrières. Celle de chercheur l’occupe professionnellement: il travaille à la faculté des lettres de Lausanne.
Son ouvrage paru chez Slatkine Erudition, La Fabrique des singularités (Postures littéraires II) fait partie de ce côté. Du côté de chez l’université. Les textes parlent de postures, de politiques de l’écriture, de littérature et sciences sociales, et interrogent Rousseau, Céline, Ramuz, Jules Vallès ou Annie Ernaux. On me permettra de ne pas être plus précis: tout ce que j’en sais pour l’instant vient de ma lecture de sa table des matières. Mais nous reviendrons là-dessus bientôt.
Le deuxième livre s’appelle Lettres au pendu et autres écrits de la boîte noire, et est paru aux Editions monographic. Il appartient à l’autre veine de Meizoz. La création littéraire.
Le pendu, c’est l’écrivain Adrien Pasquali, qui s’est suicidé en 1999 à Paris. Il avait 41 ans et venait de publier son dernier livre, Le Pain de silence.
Quelques lettres retrouvées de Pasquali ont servi de déclic. Meizoz s’adresse au mort et dresse un état des lieux. Il lui explique par exemple ce qu’est devenu le Nouvelliste, le journal du Valais. Ce quotidien, qui était jadis l’organe des catholiques conservateurs, énervait nos deux auteurs par son conservatisme et sa clôture sur les complicités locales. « En ce temps-là, le Nouvelliste était notre mascotte négative, on le détestait par conviction et par jeu, on l’affrontait comme un ennemi intime et invisible » écrit Meizoz, qui explique ensuite ce que le journal est devenu, après qu’« à la faveur d’affinités personnelles », l’esprit UDC l’a infiltré. « Aujourd’hui, une chose terrible a eu lieu, le passage à une révolution conservatrice qui allie consumérisme, populisme et paternalisme social. »
Je me suis un peu attardé là-dessus par intérêt personnel, mais la politique n’occupe qu’une part de ces lettres, bien entendu. Elles parlent surtout d’écriture, d’identité, de trahisons sociales. De plus, elles ne constituent que le début du volume, qui se présente comme un recueil de textes divers.
Certains sont parus dans des revues, d’autres sont des textes de présentation de peintres, des réponses à des enquêtes, des extraits de journal intime. On y trouve aussi une postface ou même un entretien. Ces contributions d’origines différentes sont cimentées par des inédits.
L’ambition déclarée de Meizoz dans Lettres au pendu est d’entrouvrir la porte de son atelier d’écriture. C’est tout l’intérêt de ces textes: ni études ou essais universitaires, ni pure écriture littéraire comme Fantômes ou Père et passe ou Terrains vagues, ses trois dernières parutions.
On est ici dans le laboratoire, dans les tentatives et les approches de soi-même ou de la création, de ce qui la provoque, dans la réflexion ou la définition, dans l’interrogation sur le littéraire ou les images.
On connaît l’intérêt de Meizoz pour les peintres. Ici encore son livre est illustré par le très intéressant peintre et plasticien André Crettaz, qui vit à Sierre, et a créé l’image de la jaquette de couverture.
Jérôme Meizoz, La fabrique des singularités, Postures littéraires II, Slatkine érudition, Genève
Jérôme Meizoz, Lettres au pendu et autres écrits de la boîte noire, Editions Monographic
Quelques extraits de Lettres au pendu seront lus par le comédien Claude Thébert à la Librairie Le Parnasse 6, rue de la Terrassière, Eaux-Vives, Genève, ce samedi 7 mai à 12 heures