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Mémoires en gros

Publié le 06 mai 2011 par Corboland78

La honte, mon pantalon est encore foutu troué par l’usure, non pas au bas des jambes ayant trop frotté la chaussure ou le sol, mais à l’entrecuisses. Je suis trop gros, l’intérieur de mes cuisses se touchent quand je marche, d’où la fatigue du tissu du pantalon à cet endroit stratégique. Quand j’ai retiré mon jean au retour du lycée j’ai constaté que l’épaisseur de la toile s’était considérablement amoindrie et que le jour commençait à passer, signe précurseur et désormais bien connu pour moi, de la mort annoncée du fond de mon froc.

Tous mes pantalons me lâchent de cette même manière, on pourrait croire que j’en ai pris mon parti mais ce n’est pas vrai. Si mon futal entre en agonie il faudra bientôt en acheter un autre et le feu de la honte me monte déjà au visage par avance. Aller chez le marchand avec ma mère, demander au vendeur un blue-jean en taille 46 ou 48 quand on est encore un gamin, l’embarras du commerçant qui va devoir vérifier dans sa réserve s’il possède cet article rare car peu vendu. Déjà que des jeans il n’en a pas beaucoup, nous sommes chez un tailleur qui vend aussi du prêt à porter, dans les années 60 et dans une petite ville de la grande banlieue Parisienne ; les jeans sont encore des attifements de « jeunes » qu’on prononce avec une nuance de méfiance, certains plus vindicatifs eurent dit « voyous » ou « blouson noir » si on poursuit dans l’escalade dela racaille. Mamère veut bien me payer des jeans parce qu’elle est une mère et que je suis son fils, mais par goût elle me verrait mieux dans un pantalon en tergal. « Maman, ça me pique les jambes le tergal ! » 

Je pense déjà à cette prochaine épreuve, l’essayage devant la glace sous les yeux de ma mother et du vendeur, car s’il a trouvé la taille, la longueur des jambes est évidemment beaucoup trop longue pour moi, avec mes 85kg pour 1,70m je ne suis pas d’une taille mannequin c’est le moins que l’on puisse dire. Ce n’est pas un ourlet simple qui suffira, il faudra carrément se défaire d’une bande de tissu conséquente avant de coudre l’ourlet du bas et là, nouvelle honte, si ma mère n’utilise pas le fil orangé des coutures de cette marque de frocs, je vais avoir l’air ringard avec mon bas de pantalon.

Dans l’immédiat, le jean usé va être « réparé », ma mère appose sur la trame fragilisée à l’aide de son fer à repasser des bandes thermocollantes d’un bleu profond. C’est un peu raide et comme l’espace entre les cuisses est inexistant, ça affecte ma démarche bien sûr. Mais bon. Le problème c’est que ces bandes n’étaient pas aussi fiables que ce qu’on aurait pu en penser et les forces de frictions plus costaudes que ce qu’on aurait souhaité. Moralité, il arrivait qu’elles me lâchent et se décollent, se mettant à pendouiller tristement là où vous voyez ; je n’avais pas le choix, j’arrachais immédiatement ce bout moqueur ce qui ne faisait qu’empirer la situation de mon fond de pantalon.

Au début, je mettais cette usure sur le compte d’une particularité physique avantageuse, si ça s’usait à cet endroit c’est que quelque chose de trop imposant souffrait d’y être enfermé et tentait de s’en extirper. Peut-être était-ce la preuve que j’étais trop bien monté ? L’autosuggestion a ses limites dont je touchais les bornes. Ne pouvant me convaincre de cette hypothèse, je dus convenir plus prosaïquement que j’étais un gros. Un gros à l’étroit dans ses chemises, un gros engoncé dans ses vêtements.

Quand on est « fort », on cherche à cacher l’enflure et on met des vêtements d’une taille supérieure, hélas, le XXL n’existe pas dans tous les modèles, surtout pas dans les fringues de jeunes, mais en enfilant de l’ample on se sent plus à l’aise. Le paradoxe c’est que lorsqu’un gros enfile un vêtement ample, il cache peut-être bourrelets et formes disgracieuses, mais il accentue son volume. Dur, dur.    


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