Le point de départ de ce livre repose sur la controverse qui opposa Martin Heidegger, Meyer Schapiro et Jacques Derrida quant à l’interprétation d’une petite, mais célèbre, toile (37,5 x 45 cm) conservée au Van Gogh Museum d’Amsterdam, Les Souliers, réalisée en 1886. La précision s’impose, car le peintre réalisa plusieurs natures mortes sur ce même thème dans ces années- là. Controverse et non débat, puisque le philosophe allemand évoqua la question en 1935, que l’historien de l’art américain contesta son analyse en 1968 et que le père de la déconstruction déconstruisit (il fallait s’y attendre) le tout en 1977.
Cela dit, cette querelle se présente avant tout comme le prétexte pour l’auteure à une réflexion plus générale sur la valeur interprétative d’un tableau, qu’il soit perçu par un philosophe ou par un historien. Sans conteste – et cela n’échappe pas à Florence de Mèredieu, historienne de formation philosophique –, le premier, surtout s’il ne porte pas de chemise blanche échancrée, évolue dans les hautes sphères conceptuelles, tandis que le second traque humblement, dans des archives poussiéreuses, le témoignage ou le document qui servira sa démarche. Deux visions, donc, de la même œuvre, deux recherches d’une vérité.
Le discours du philosophe serait-il pour autant à écarter définitivement du champ pictural ? Tout dépend de l’approche philosophique qui est à l’œuvre. Ainsi, l’ouvrage passionnant que Michel Onfray consacra en 2009 à Gérard Garouste, L’Apiculteur et les Indiens, échappe-t-il à toute illusion interprétative, dans la mesure où, justement, il s’intéresse autant au peintre qu’à ses tableaux.
Il est rare que la lecture d’un essai consacré à l’art suscite le rire ; cependant, ici, le lecteur s’amuse de l’humour subtil, érudit et grinçant avec lequel l’auteure règle leur compte aux philosophes (Shapiro se sort en meilleur état de cette confrontation) pour mieux se livrer à une « analyse sociologique et critique du soulier, du godillot, de la chaussure, de la “tatane” ». Voilà pourquoi le lecteur amateur d’art trouvera sans doute, dans ce livre, chaussure à son pied.
Illustrations : Couverture de l’essai - Vincent Van Gogh, “Les Souliers” (ou “Les Bottines noires”), 1886, Van Gogh Museum, Amsterdam.