Il y a parfois, dans un Journal Télévisé, des actualités qui se télescopent, font écho, interrogent. Oh ! bien sûr, on ne peut pas les mettre sur un même plan. Notez-le bien... C’est juste une superposition. De mots. De témoignages.
Un bidouilleur des images et du son, un as du fake, en ferait son affaire.
Mais entrons dans le vif…
Ces images, nous les avons tous vues. Ces mots, nous les avons entendus.
Et cette conclusion, récurrente :
« Justice est faite ».
La justice c’est donc ça : abattre un homme « qui n’était pas armé » [2] ?
J’allais dire : comme un chien.
Un chien d'indien (cf : Geronimo).
Mardi soir, cet « assaut » faisait encore la Une du JT de France 2. Pendant un long quart d’heure… Deux actualités plus tard [3] David Pujadas enchaînait sur « un drame » survenu dans la journée à Marseille :
« Un adolescent de quinze ans a été tué par balles lors d’une tentative de cambriolage dans une société de gardiennage »… Il se prénommait Antoine… On nous apprend que c’est « un homicide qui révolte le voisinage ».
Ladite « révolte » est illustrée par des témoignages. En voici les principaux :
« Je ne pense pas que ce soit une raison pour qu’on abatte quelqu’un (…) Parce que c’est pas tuer quelqu’un, ça : c’est abattre quelqu’un », « On ne peut pas tuer les gens comme ça », « Là, on est dans une époque de western… ».
Et c’est là que j’ai tilté. Que j’aurais aimé être un bidouilleur du son et des images, un pro du fake. Mettre dans la bouche de ces américains vociférant, les mots du « voisinage » révolté :
« On ne peut pas tuer les gens comme ça ».
- Pourquoi vous ne pouvez pas « tuer les gens comme ça » ?
- Mais parce que nous sommes les Etats-Unis d’Amérique ! La première démocratie du monde ! Vous rendez-vous compte de l’image que nous renvoyons avec cet « homicide » ? Quel message ?
- Mais vous auriez préféré quoi ?
- Mais qu’on le capture ! Qu’il y ait un procès. Parce que c’est ça, la Justice. Vous comprenez ?
- Je comprends… Mais pourtant votre Président assure que « Justice [a été] faite » !
- Eh bien, il faudrait que notre Président change son logiciel. Et comprenne que ça fait belle lurette que nous ne vivons plus à l’époque du « western »…
- Vous n’êtes donc pas content d’avoir Custer comme Président ?
- J’aurais préféré un Prix Nobel de la Paix.
- Mais il l’est…
Je sais. Vous allez me dire – malgré la précision en liminaire – que je mets sur un même plan deux faits qui n’ont aucun rapport. Un terroriste (assassiné), et un gamin de quinze ans (abattu)... Je maintiens que non. Mettez ça sur le compte d’une absurdité. Et cette absurdité porte un nom : le JT. Un foutoir invraisemblable. Sorte de fast-food indigeste (pléonasme) vulgaire et ô combien indécent de l’information…
… Non, c’est juste un télescopage. Foutrement intéressant. Jouissif, même… Vous ne trouvez pas ? Que ça fait écho, que ça résonne (et raisonne) ce : « On ne peut pas tuer les gens comme ça » ?
Voyez, c’est ce « Justice est faite » qui, depuis lundi matin, me turlupine. Ce n’est pas, pour être très clair, ma conception de la Justice.
Oui, Ben Laden était un terroriste. Et alors ? Les Etats qui se disent « démocratiques », s’érigent en modèle du monde, allant même jusqu’à prétendre qu’ils représentent le « Bien » [4] ne peuvent pas se comporter de cette façon. Comme des snipers. De jeux-vidéos... Quels que soient les crimes perpétrés par ceux qu’ils « traquent »... Quant à ces manifestations de joie, elles étaient insupportablement indécentes, indignes d’un peuple dit : civilisé. Mieux aurait valu le silence. Total.
Il ne s’agit pas de Morale, il s’agit de savoir ce que nous voulons (et d’être conscient de l’image que nous renvoyons). S’il est vrai que les Etats « démocratiques » souhaitent ardemment servir de référence (aux pays arabes, notamment, ceusses qui font présentement leur révolution), alors cette exécution est une erreur. Tout comme ce qui s’est passé ensuite, je veux dire l’abracadabrante « immersion du corps ». [5]
Dire au monde entier que toute cette « opération » aurait à voir avec la Justice, et le répéter, encore, toujours, sachant que c’est un modèle, un référent qui le dit, est une incitation à, non pas, « rendre la justice », mais à « se faire justice ». Ce qui n’est pas du tout la même chose.
Les mots ont un sens. Les actes, itou. Celui-ci aura des conséquences (lourdes).
Et l’on peut bien me rétorquer qu’un procès eût été très compliqué, suscité bien des réactions (y compris violentes) il aurait, à la réflexion, mieux valu. Parce que, au terrorisme, on ne peut pas répondre par une autre barbarie. Il n’y a pas d’autre choix qu’une réponse qui ait à voir avec la Justice, au sens noble du terme. Sinon, ne nous présentons plus comme des « modèles de démocratie ». Et ne nous étonnons, surtout pas, que « chez nous », des hommes prennent un fusil pour « se faire justice » croyant « la rendre ». Car le danger est là. Pas seulement à l’extérieur. Il a des conséquences, aussi, à l’intérieur.
Bref, nous n’avons pas fini d’en baver.
D’avoir de gros problèmes de « voisinage ».
Et – quitte à faire dans l’imagerie nordiste – de sanglantes « Little Big Horn » en perspective.
[1] Geronimo ! Décidément, ces américains n’en ratent pas une ! M’est avis que ce qu’il reste d’indiens sur le sol américain, doit être ravi d’apprendre qu’on les considére comme des terroristes de catégorie une... Au regard de leur Histoire et de ce que les « américains » en ont fait, c’est un « nom de code » pour le moins déplacé, voire foireux. Si ce n’est : proprement scandaleux.
[2] C’est du moins ce que John Brennan (conseiller de Barack Obama pour l’antiterrorisme) aura fini par lâcher : que Ben Laden « n’était pas armé ».
Rappelons que c’est le même qui, quelques heures après « l’assaut » affirmait qu’Oussama Ben Laden était « armé » et que, de surcroît, s’était servi d’une femme comme « bouclier humain ».
C’est encore John Brennan qui nous assure (le mardi 3 mai 2011) que « si nous avions eu la possibilité de le capturer (Ben Laden) nous l’aurions fait ».
Or donc, nous en concluons que « capturer » un homme « qui n’était pas armé », manifestement, c’est impossible… Même pour les meilleurs.
[3] Les deux actualités concernaient le rapatriement des huit corps français victimes de l’attentat de Marrakech avec une déclaration solennelle (et particulièrement pasquaïenne : « Les terroristes ne nous terroriseront pas ») de Nicolas Sarkozy (avec en bonus, une larme plein écran de son « épouse ») et les boîtes noires du vol Rio-Paris.
[4] A partir du moment où tu définis un « Axe du Mal » c’est que tu te places (et considères) dans le camp du « Bien ». N’est-ce pas…
[5] Il y eut, jadis, un autre corps, en cendres, qui fut « immergé ». Il s’agit de celui d’Adolf Eichmann. Mais lui, fut « capturé » et jugé. Je veux dire que dans ce cas, la Justice put faire son travail. Ce qui, d’une certaine façon, éclaira l’Histoire. Alors que là…