Theodor van Thulden (’s-Hertogenbosch, 1606-1669),
Allégorie de l’inconstance du bonheur, sans date.
Huile sur toile, 1,67 x 2,33 m,
Aschaffenburg, Staatsgalerie im Schloss Johannisburg.
Même si elle a eu la chance d’être au centre de Grandes journées musicales organisées au château de Versailles en 1995 et de susciter, à leur suite, une poignée de disques, on ne peut pas dire que l’œuvre de Sébastien de Brossard fait partie de celles qui ont, depuis, beaucoup excité la curiosité des interprètes. Publié il y a quelques semaines par Mirare, l’enregistrement monographique que lui consacre l’ensemble La Rêveuse, dont la précédente réalisation, dédiée à Élisabeth Jacquet de La Guerre, a été saluée ici même par un « Incontournable de l’année 2010 », apparaît donc comme une véritable aubaine.
Lorsque l’on prend un peu de recul sur son parcours, Sébastien de Brossard apparaît comme un homme d’occasions manquées, tant de son vivant qu’après sa mort. En effet, les amateurs de musique ancienne qui, trop rares à mon avis, connaissent aujourd’hui son nom lui sont surtout reconnaissants d’avoir été un acteur majeur de la préservation de pans entiers du répertoire, un mérite qui lui vaut d’être abondamment cité dans tous les ouvrages sérieux traitant de la période baroque, mais ont généralement une connaissance beaucoup plus lacunaire de sa production, pourtant passionnante à bien des égards, tandis qu’une des lignes de force de sa biographie est incontestablement les efforts qu’il déploya en vain pour s’installer à Paris.
Baptisé à Dompierre, dans l’actuel département de l’Orne, le 12 septembre 1655, ce fils d’une vieille famille normande est
placé chez les Jésuites de Caen pour y faire ses études, qu’il poursuit ensuite à l’université, en commençant, en parallèle, à s’intéresser à la musique en autodidacte.
S’il serait inexact de réduire l’art de Sébastien de Brossard à un suivisme vis-à-vis de la musique ultramontaine, force est néanmoins de reconnaître qu’il en est, formellement comme stylistiquement, fortement imprégné, comme le montrent les pièces proposées dans cette anthologie de La Rêveuse, toutes représentatives de genres regardés comme typiquement italiens : l’oratorio, la cantate et la sonate. L’auditeur attentif retrouvera sans peine des traces de l’influence de Corelli dans la Sonate en ut majeur, de Carissimi dans l’Oratorio malheureusement lacunaire, tandis que la théâtralisation des affects par l’utilisation de madrigalismes ou de dissonances, comme dans la scène infernale de l’Oratorio (« Heu nos miseros »), la souplesse de telle ligne vocale ou instrumentale, l’utilisation du da capo ou de la ritournelle l’entraîneront également vers l’Italie. Mais le contrepoint rigoureusement mis en œuvre est tout germanique, quand le goût pour la demi-teinte, l’élégance et une certaine retenue expressive, s’exprimant paradoxalement avec le plus de netteté dans la très belle cantate Leandro, seule œuvre en italien du programme, montrent à quel point Brossard, qui, ainsi que l’atteste son Dialogus dont la forme rappelle aussi bien Henry du Mont que Charpentier, connaissait parfaitement l’héritage et les dernières tendances de la musique de son pays, était imprégné d’esprit français.
L’interprétation que livre l’ensemble La Rêveuse, élargi pour l’occasion à six chanteurs et autant d’instrumentistes
(photographie ci-dessous), est une indiscutable réussite, dont les deux traits les plus frappants sont sans doute la subtilité et l’humilité. En effet, l’équipe réunie pour servir ce projet a
choisi une approche qui, tout en mettant en relief de façon très convaincante leur dimension dramatique, fait toute confiance aux œuvres et n’use donc d’aucun effet de manche superflu pour leur
faire avouer ce qu’elles ne disent pas. Il en résulte une lecture des partitions très équilibrée, mais également vivante et contrastée, qui ne laisse rien ignorer de leurs ressorts rhétoriques
sans toutefois perdre de vue qu’elles ont été conçues autant pour l’édification – dans le cas des deux oratorios – que pour l’agrément.
La Rêveuse
Florence Bolton, basse de viole & direction
Benjamin Perrot, théorbe & direction
1 CD [durée totale : 64’23”] Mirare MIR 125, Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
Oratorio sopra l’Immaculata… :
1. Sonatina
2. Duo : Sordes abluæ noxias
Eugénie Warnier, dessus. Isabelle Druet, bas-dessus.
3. Sonate en trio en ut majeur :
(I) Allegro – Adagio
4. Leandro, cantate :
E voi siate ancor
Jeffrey Thompson, haute-contre. Benoît Arnould, basse.
5. Dialogus pœnitentis animæ… :
O quas blanditias !
Chantal Santon Jeffery, dessus. Jeffrey Thompson, haute-contre.
Illustrations complémentaires :
Anonyme, Portrait de Sébastien de Brossard, c.1706. Eau forte, 25 x 16,5 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France.
La photographie de l’ensemble La Rêveuse est d’Anne-Marie Berthon, utilisée avec autorisation.