Par Adam Allouba (*)
Pendant les révolutions tunisiennes du égyptienne, beaucoup ont demandé qui était derrière les manifestations, quelles étaient leurs intentions et qu’est ce qui pourrait émerger après que les dictateurs soient renversés. Le débat était largement théorique, toutefois, les populations locales ont réussi à renverser leurs dirigeants sans aide extérieure. La révolte Libyenne est, bien sûr, différente…
Le printemps arabe qui a germé en Tunisie et s’est épanouit également en Égypte a prit une forme plus sinistre quand il a atteint la Libye. Ce qui a commencé le 15 février comme une série de manifestations dans la deuxième ville du pays, Benghazi, c’est progressivement étendue aux villes voisines, pour bientôt engloutir toute la région de l’est et menacer Mouammar Kadhafi à Tripoli même. De là, malheureusement, les manifestations ont dégénéré en une guerre civile entre les mains des rebelles à l’est et l’ouest contrôlés par le régime. Pire encore, le conflit a été sérieusement déséquilibré. Après la perte initiale de grandes parties du territoire et du soutien interne, le régime a commencé au début du mois de mars à faire reculer les gains des rebelles jusqu’à ce que, ce 17 mars, leurs forces menacent Benghazi.
(Dessin de presse : René Le Honzec)
Face à l’engagement pris par Kadhafi de n’avoir « ni merci, ni pitié » pour ses adversaires, le Conseil de sécurité est inhabituellement passé à l’action la nuit même, adoptant la résolution 1973 pour autoriser « toutes les mesures nécessaires permettant de protéger les civils et les zones peuplées de civils sous la menace d’attaques. » Benghazi, éclata d’acclamations et de feux d’artifice à l’annonce de ces nouvelles. La contribution du Canada à l’effort se compose d’une frégate, six avions de chasse et de quatre autres aéronefs.
Alors que l’avancé des rebelles fait des progrès considérables au début de l’intervention, leurs gains se révélaient par la suite éphémères. La situation semble avoir atteint une impasse entre un régime incapable de pleinement déployer ses forces en raison de la menace des frappes aériennes et des rebelles qui n’ont pas les équipements nécessaires pour profiter de leur supériorité en cette ère nouvelle.
Idéalement, les rebelles devraient rapidement renverser Kadhafi, l’intervention devrait cesser et la Libye pourrait devenir un pays libre. Malheureusement, il y a lieu de douter que ce scénario idéal se matérialiser ou que cette « action militaire cinétique » se fasse en douceur ou finissent bien.
Que faisons-nous exactement ?
À la fin de la première semaine suivant le vote des Nations Unies, Barack Obama a prononcé un discours qui visait à expliquer pourquoi les États-Unis, mais également les autres pays coalisés, sont intervenus en Libye. Le cœur du discours a été son affirmation selon laquelle, malgré le fait que nous serions tous plus heureux sans Kadhafi au pouvoir, nous devrions apporter une aide non militaire pour que nous accomplissions nos objectifs. Ainsi, l’intervention devrait se limiter à la protection des civils.
La protection des civils ?
Si le président était sincère, alors il n’y aurait pas de réponse à la grande question posée par cette mission : qu’arrivera-t-il après ? D’une part, un Kadhafi victorieux est enclin à mettre sa menace originale d’un massacre à exécution. De l’autre, en suivant les propres mots d’Obama, « si nous essayions de renverser Kadhafi par la force, notre coalition se brisera. » Les rebelles eux-mêmes ont reconnu être « déplorablement dépassés en nombre et sous-équipés » et il y a peu de chances qu’ils parviennent à renverser le régime de leurs propres mains. Si nous devons rester en Libye jusqu’à ce qu’ils atteignent ce but, notre engagement est prévu pour durer et il n’y a donc aucun dénouement en vue de notre participation.
Un changement de régime ?
Naturellement, la coalition peut simplement changer sa tactique et essayer de limoger Kadhafi. Elle pourrait le viser personnellement par les airs, une idée approuvée par le secrétaire de défense du R-U. Ou elle pourrait équiper et financer les rebelles pour leur permettre de réaliser le travail. Une option finale est d’intervenir militairement au sol, utilisant les troupes occidentales pour renverser le régime.
Heureusement, la mémoire de l’Irak reste suffisamment vive pour diminuer l’appel de cette dernière option.
Supposez, maintenant, que nous bombardâmes Kadhafi dans l’oubli. Alors que peu pleurerait sa disparition, est-ce que cela anéantirait le danger alarmant les civils et nous permettrait de proclamer notre mission accomplie ?
En soi, sa mort ne signifierait pas grand-chose, puisque le danger ne vient pas de sa personne, mais des troupes qu’il commande. En soi, sa mort n’aurait guère, puisque la menace ne vient pas de sa personne, mais les troupes qu’il commande. S’ils octroient leur fidélité à quelqu’un d’autre dans le régime, rien n’aura changé. Et s’ils elles se scindent en factions en guerre, nous auront exacerbé le problème en mettant la Libye proche d’un chaos à la Somalienne. Bien sûr, elle pourrait apporter la victoire aux rebelles mais elle soulèverait un autre ensemble de questions que nous examinerons plus tard.
La seconde option, qui consisterait à fournir aux rebelles de l’équipement et de l’argent, a le soutien de l’administration d’Obama, du gouvernement militaire intérimaire égyptien, et du dirigeant suprême iranien Ali Khomeini. Ainsi, supposons que la coalition arme et finance les rebelles (en dépit des obstacles juridiques).
Quelles armes offrirons-nous? Les équipements obsolètes ne peuvent pas être à la hauteur, alors que les armes de guerres pourraient revenir nous hanter plus tard. Qui recevra les armes? Nous les passerons vraisemblablement par des intermédiaires désignés, plutôt que par parachutage via des bombardiers furtifs à quiconque agiterait un drapeau de la Libye. Mais l’opposition est divisée et certains de ses principaux membres ont été comparés à des enfants se querellant. Décider qui a accès aux armes signifie inévitablement prendre parti dans la politique intérieure du mouvement d’opposition Libyen, comme si prendre parti dans la guerre civile n’était pas déjà suffisant. D’ailleurs, comment pouvons-nous contrôler ce qui arrivera aux armes par la suite? En fait, la réponse à cette question est simple: nous n’en avons pas. Au lieu de cela, nous croisons les doigts qu’ils ne se retrouvent pas dans les mains des mauvaises personnes.
Qui supportons-nous ?
Pendant les révolutions tunisiennes du égyptienne, beaucoup ont demandé qui était derrière les manifestations, quelles étaient leurs intentions et qu’est ce qui pourrait émerger après que les dictateurs soient renversés. Le débat était largement théorique, toutefois, les populations locales ont réussi à renverser leurs dirigeants sans aide extérieure. La révolte Libyenne est, bien sûr, différente : à la mi-mars, il était clair que la force brutale du régime l’emporterait. En décidant d’intervenir, la communauté internationale a apporté son lot aux rebelles pour le meilleur ou pour le pire.
Ayant déjà vanté les révolutionnaires à Tunis et au Caire, je ne vais pas imputer des motivations négatives à leurs homologues libyens. Il ya sans doute un grand nombre d’entre eux qui aspirent simplement à goûter la liberté. Néanmoins, cette fois la nature des événements a rendu la situation beaucoup plus impénétrable que ce fut le cas pour les voisins de la Libye. Quelques figures problématiques sont passées au premier plan, tandis que d’autres groupes aux motifs sinistres se cachent dans l’ombre, prêt à profiter du chaos.
Rencontrer le nouveau patron…
Peut-être le commandant rebelle plus en vue est le général Abdel-Fattah Younis, qui avait joué un rôle clé dans le gouvernement de la Libye depuis le coup de 1969 qui a porté au pouvoir Kadhafi. Jusqu’à sa défection, il était le ministre libyen de l’intérieur, une autre façon de dire le tortionnaire en chef. Bien qu’il soit possible que Younis ait eu une révélation authentique et un nouveau penchant humaniste, les tentatives de Kadhafi pour le tuer ont sans doute quelque chose à voir avec son changement d’humeur. Même si Kadhafi est renversé, qu’arrivera t il si le nouveau régime est constitué par ceux qui, comme Younis, ont passé tant d’années au service du tyran destitué? L’occident sera t il dans l’obligation de poursuivre son intervention, de peur que le nouveau régime pose un risque aussi important pour les civils que le régime kadhafiste?
D’autres acteurs dans l’opposition de haut niveau comprennent : Omar El-Hariri, qui a participé au coup d’Etat de 1969, mais a fui aux Etats-Unis six ans plus tard. Longtemps- prisonnier politique, Ahmed al-Sanusi est ancien ministre de la Justice. Mustafa Abdul Jalil, que l’organisation L’observatoire des droits de l’Homme (Human Rights Watch) a salué pour ses prises de position contre la cruauté du régime. Même s’ils peuvent être des personnes plus attrayantes que Younis, il semble y avoir peu d’indications que l’un d’eux ait une des électeurs parmi les Libyens. Même en supposant qu’ils feraient de bons dirigeants d’un pays libre, quel fait nous prouve qu’ils exerceront une influence une fois que le régime sera dissout ?
Quels mensonges indignes
Au-delà du leadership, il y a les rebelles dont la majorité, je le répète, sont pour la liberté. (mais pas dans le plein sens libertarien) Mais alors que la guerre fait rage en Libye, des groupes comme al-Qaïda veront une occasion pour eux d’exploiter un espace vide commes ils en ont un en Afghanistan, en Iraq est en Somalie. Il est impossible d’évaluer dans quelle mesure ces entités sont actives parmi l’opposition libyenne mais plus le pays demeure instable plus les groupes extémistes sont susceptibles de faire des incursions. Les jets de l’Ouest pourraient éventuellement fournir une couverture pour les terroristes ? Cette préoccupation devient encore plus pressante si l’Occident envisage sérieusement d’armer et financer les rebelles, un problème qui n’a pas échappé à l’attention de l’administration Obama.
Alors que faire ?
Notre plus grand défi reste que le temps joue en notre défaveur. Des bombardements continus tueront inévitablement des civils et des combattants rebelles, déclenchant la colère des arabes et des musulmans alors que l’Occident ne peut se permettre d’évincer les personnes qu’il est censé aider. De tels accidents sont inévitables car il peut être impossible de distinguer entre les forces pro-et anti-Kadhafi de l’air, pour ne pas mentionner que le fait que régime ait peu de scrupules sur l’utilisation de son propre peuple comme bouclier humain. Dans le même temps, lorsque les forces de la coalition ont adopté une approche plus prudente, ils ont été accusés de ne pas en faire assez pour aider. En d’autres termes, toutes les interventions militaires doivent arrêter toutes les troupes de Kadhafi sans nuire à personne d’autre accidentellement.
Le temps augmentera également le prix de l’opération, ce qui affaiblir le soutien des pays occidentaux à court d’argent. À cela, ajoutez l’argument inévitable qu’accepter la défaite encouragera d’autres dictateurs, sapera la crédibilité de l’Occident et , enfin, une victoire de Kadhafi lui permettrait de parrainer à nouveau la terreur dans son pays. . D’ailleurs, le Premier ministre britannique David Cameron à déjà fait valoir ce point. La logique conclusion de ce problème sera alors que si les rebelles ne peuvent pas renverser Kadhafi, les bottes de l’Ouest termineront le travail. Pour que le score se maintienne à domicile, il faudra donc occuper un troisième pays musulman et offrir encore un autre cri de ralliement pour les recruteurs terroristes.
Il s’agit de problèmes sans solutions claires et des questions sans réponses précises. En plus de tout cela, nous devrions considérer quelle leçon les oppresseurs à Téhéran, Pyongyang ou ailleurs ont appris de l’abandon par Kadhafi de ses armes de destructions massives il n’y a pas si longtemps. Nous avons, par inadvertance, enseigné à ces derniers qu’il n’y a pas de meilleures garants de leur sécurité que l’anthrax, le gaz moutarde et les bombes atomiques.
S’il est compréhensible de vouloir aider les gens qui se battent pour leur liberté contre un tyran, il y a peu d’impulsions chez l’homme moins productives que la tentation de vouloir « faire quelque chose ! » sans considérer les conséquences de ses actes. Après tout, chacun sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Les responsables de la politique étrangère et intérieure pourraient apprendre beaucoup des médecins, dont la devoir le plus sacré est – au-dessus même de la guérison de leurs patients – d’ « avant tout, ne pas nuire. »
(*) Adam Allouba est avocat d’affaires basée à Montréal, diplômé en droit et en sciences politiques de l’Université McGill.
Article paru dans Le Québécois Libre n° 288 du 15 avril 2011, reproduit avec la permission de l’auteur. Traduction : Barem.