Par Anton Suwalki
Un reportage totalement acritique sur la synergologie a été diffusé le 3 mai sur M6 dans l’émission « 100% Mag ». Point de départ de cette pseudoscience, le fait banal qu’il existe des formes non verbales de communication : Nous sommes plus ou moins capables de reconnaitre chez autrui des signaux pouvant exprimer des sentiments – colère, peur, agressivité, désir, gène, défiance, tristesse – qu’il n’exprime pas oralement.
(Dessin de presse : René Le Honzec)
Qu’est-ce que la synergologie ?
Comme souvent, de banalités acceptables par tous, émergent des théories parfaitement fumeuses : la synergologie « est une discipline dont l’objet est de mieux comprendre le fonctionnement de l’esprit humain à partir de la structure de son langage corporel » dit Philippe Turchet, l’inventeur proclamé de cette « discipline » [1], qui n’est en fait qu’une resucée des théories de la programmation neurolinguistique (PNL) [2], dont Turchet affirme de manière risible : « La synergologie dans ses objectifs retrouve la P.N.L. En revanche elle est en profond désaccord avec nombreuses des théories issues de la P.N.L simplement parce qu’elles ne sont pas corroborées par les faits. »
Certes, elles ne sont pas corroborées par les faits ! Mais c’est l’hôpital qui se moque de la charité ! Car le système d’interprétation de notre gestuelle de la synergologie ne repose que sur l’imagination de son gourou, et non sur une quelconque base neurobiologique permettant de décrypter les liens entre une attitude corporelle et l’émotion qui en serait à l’origine. Philippe Turchet n’a à son actif aucune publication scientifique, et il se considère le seul juge du bien-fondé de ses assertions. Et s’il se paye le luxe de citer Karl Popper, un comble pour un charlatan, il n’a visiblement aucune idée de ce qu’est un protocole scientifique ou une proposition réfutable. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer que toutes ses découvertes (vous avez bien lu, toutes) étaient validées.
Tout ce que propose la synergologie a été validé, notamment par l’observation. Au début de mon travail, j’ai fait passer à peu près 350 entretiens vidéo à des personnes à qui je demandais : qu’ attendez-vous de la vie ? Elles parlaient une minute devant la caméra et je leur disais que si elles avaient mal formulé leurs réponses, on pouvait tout effacer et recommencer. Les personnes s’ouvraient, se détendaient. Je me suis aperçu que lorsqu’on est en situation de bien-être et qu’on se laisse aller, on montre par exemple davantage l’œil gauche, on penche plus la tête à gauche. [3]
Il n’est pas indiqué quels sont les signes collectés qui témoignaient de cette ouverture (un terme qui n’est pas défini) ou de cette détente. Mais les lecteurs apprécieront particulièrement que les personnes détendues « montrent davantage l ’œil gauche » . Un protocole d’observation sans doute très rigoureux…
De fait, les thèses de Turchet ne sont rien d’autres qu’une nième tentative de faire parler un autre « moi », le vrai moi perverti par la société et travesti derrière le langage : un aperçu de la philosophie sous-jacente :
L’être humain est bon mais à force de se cacher, il perd sa pureté originelle pour devenir « efficace ». Des filtres sociaux masquent sa pensée ,la transforment à l’insu des autres le plus souvent, à son propre insu parfois. L’être humain se cache en falsifiant son apparence. Pourtant dans son for intérieur, la réalité de ses désirs subsiste. Ses doutes et ses envies s’expriment à plein dans son cerveau. Au-delà de ses conditionnements, l’être de désir enfoui au cœur de chacun d’entre nous exprime par tous les pores de sa peau ce qu’il met tant d’ingéniosité à masquer avec les mots. [4]
C’est tout naturellement que le charlatan a mis au point une méthode d’interprétation sauvage de n’importe quel geste parfaitement anodin pour permettre à tout un chacun d’identifier, et de résoudre ses «conflits ». Ça ne vous rappelle rien ?
Un coup d’œil sur les exemples d’interprétation gestuelle qu’il donne [5], qui vont de la symbolique la plus puérile aux affirmations les plus saugrenues :
Dépêchons-nous.
Sur le tibia gauche la microdémangeaison indique notre désir de voir le mouvement physique hâté.
Cette microdémangeaison est sans ambiguïté. [sic]
On me demande trop de flexibilité
Lorsque la zone microdémangée est la zone de la malléole, tout est question de flexibilité.
Cette zone est très souvent sur le corps la correspondance psychique de réflexions de nature sexuée.
J’aurais mieux aimé ne pas entendre cela
Les mots maladroits ou déplacés produisent des picotements dans l’oreille.
Les mots sont entrés dans mon oreille et j’essaie très inconsciemment de les en extirper. Mais c’est trop tard ils sont là et j’ai entendu quelque chose qui ne me convient pas vraiment.
Ça me reste en travers de la gorge
L’index sur la glotte, je brûle de dire ce que j’ai sur le cœur. Les choses vont d’ailleurs ne pas tarder à sortir. Mon index dressé, face à mon interlocuteur, montre que je suis capable de dire « Je » et à faire preuve d’autorité, puisque cela semble nécessaire.
Est-il nécessaire de poursuivre l’inventaire de ces loufoqueries ?
On peut citer pour terminer :
Bill Clinton [...], devant le Congrès, pendant le procès de l’affaire Monica Lewinsky, s’est gratté trois fois le nez… Et lorsqu’on ment, on a tendance à se gratter le nez…
Fort heureusement, Philippe Turchet nous épargne une « microdémangeaison » localisée beaucoup plus bas qui déboucherait sur une interprétation plus triviale… Les interprétations de ces démangeaisons du nez avancées sur le site de la synergologie étant toutes différentes de celle-ci, on peut supposer que la connaissance du mensonge de Clinton a précédé cette réinterprétation du soi-disant signe du mensonge. Avec ces méthodes, la pseudoscience gagne à tous les coups…
Retour sur « 100% Mag »
On pourrait après tout se contenter de sourire de ces élucubrations, se dire qu’après tout « 100% Mag » n’est pas un magasine à vocation scientifique. On regrettera tout de même l’absence totale de distance des journalistes qui couvrent le sujet, au risque de faire apparaître ces niaiseries comme des vérités révélées.
Le mérite involontaire de ce documentaire est de faire apparaître que des personnes fragiles, en situation d’échec (par exemple dans la recherche d’un emploi), font appel à des « coachs » synergologues, ce qui peut au moins nuire à leur portefeuille. Plus inquiétant, le reportage montre une équipe de pompiers formés à la synergologie pour détecter grâce la « science » de la communication non verbale des potentiels pyromanes parmi la foule présente sur les lieux d’un incendie. Outre que cela ne relève pas de la compétence des pompiers, on imagine le genre de dérives auxquelles ces pratiques pourraient aboutir. Le voisin d’un appartement incendié se gratte le nez en témoignant de ce qu’il a vu, le voici transformé en suspect ?
À notre connaissance, la police et les tribunaux ne sont pas encore contaminés par la synergologie. Mais ces derniers sont loin d’être imperméables aux théories fumeuses et aux pseudo-expertises. Qu’on se souvienne d’Outreau.
Notes et sources :
[1] http://www.synergologie.org/
[2] http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article153
[3] http://sante.journaldesfemmes.com/psychologie/0404gestes/itwturchet.shtml
[4] http://www.aquelmoiparlestu.ch/Images/LA%20SYNERGOLOGIE.pdf
[5] http://www.synergologie.org/index.php?option=com_content&task=view&id=222&Itemid=62