Quand on lit l’actualité, on se rend compte que tous les jours, on frôle la catastrophe libérale, capitaliste ou tout simplement républicaine. Et sans l’intervention musclée et évidemment salvatrice d’un nombre toujours plus grand de vrais défenseurs des valeurs du Bien et de la Gentillesse molletonnée, eh bien mes petits amis, on serait vraiment dans le caca.
Oh, ne vous méprenez pas.
Je ne dis pas ça pour vous inquiéter. Ce n’est pas le genre de la maison. Surtout qu’avec la météo qu’on a actuellement, ce serait vraiment difficile de se faire de la bile sauf à regarder en boucle des documentaires lacrymogènes sur France 2, écouter les lancinantes mélopées plaintives sur France Info ou chercher une trace de cohérence dans les tactiques du Parti Officiellement Socialiste.
Non, définitivement, si ce pays n’est pas foutu, c’est, d’abord et avant tout par le travail minutieux et quotidien de l’armée discrète des Bien-Écoutants, des Bien-Parlants, des Bien-Voyants, des Bien-Sentants et des Bien-Pensants. Et rassurez-vous : ils sont de plus en plus nombreux ces zélés contrôleurs de la vie des autres. Ils sont tous les jours plus vigoureux, les gentils administrateurs du vivre ensemble et de l’intégration ultime du tout dans le reste et inversement ; chaque jour, chaque heure, chaque minute qui passe permet de découvrir un nouveau curateur du nouveau monde garanti sans discrimination, sans inégalité, sans aspérité et sans coin aigu qui fait mal quand on se cogne dessus alors qu’on courrait gentiment dans les champs vastes et féconds de la réalité démocratique et républicaine que tout un peuple s’emploie à tisser de ses mains habiles…
Par exemple, le courageux préfet du Rhône a décidé d’interdire une manifestation nauséabonde qui nous ramène aux heures les plus noires de notre Histoire. Cette dernière, organisée par une association d’extrême-droite, visait à dénoncer l’extension de la vente de viande hallal (d’où son nom, subtil, de « marche des cochons »).
On comprend bien que l’interdire seulement au motif d’un risque probable d’affrontement avec des associations d’extrême-gauche ne suffisait pas. Le préfet a donc clairement ajouté que pour lui « L’organisation de cette manifestation est une provocation pure et simple » et il a dénoncé « un rassemblement clairement islamophobe à rapprocher des apéros saucisson-pinard« . En somme, dans cette République, s’exprimer librement est totalement possible, tant que ce n’est pas en groupe, et tant que ce n’est pas contre quelque chose qui risquerait de fâcher.
On ne s’étonnera pas au passage que d’autres solutions n’ont pas été retenues, comme par exemple laisser manifester les abrutis de droite à une date donnée, et autoriser les abrutis de gauche à faire de même à une autre date, et éviter ainsi les confrontations prévisibles lorsque les deux groupes d’intellectuels finement triés se retrouvent le même jour au même endroit, quitte à s’assurer que l’un et l’autre rassemblement de crétins soit correctement canalisé par une présence policière idoine. Il semble assez évident qu’une telle solution aurait immédiatement fait dégonfler la baudruche d’extrême-droite (défiler à 200, c’est un peu tristoune) et rendu la baudruche d’extrême-gauche parfaitement ridicule.
Autre exemple que la distribution de bisous républicains progresse un peu plus chaque jour : le PDG d’Air Liquide, Benoît Potier, un bras en clef dans le dos et un rictus douloureux sur le visage, s’est dit ouvert à la distribution de primes à ses salariés en cas de hausse des dividendes. Mais il est malin, le petit Ben : comme tout le monde aime l’égalité, il a déclaré qu’on distribuerait donc à tout les salariés du groupe, et pas seulement aux Français.
C’est génial, finalement, la force de persuasion de l’Etat et de ses séides : il n’y a même plus besoin d’inscrire dans la loi les idées complètement crétines qui passent par le cervelet de l’un ou l’autre mammifère en charge de la boutique. Il suffit de faire mention qu’on pourrait avoir recours à une telle loi pour qu’ainsi, les patrons français, qui connaissent la musique, se plient aux directives. Finalement, la nationalisation n’est pas réellement nécessaire : l’état étant maintenant presque partout, il peut suggérer, le reste suit tout seul.
C’est tellement vrai qu’une autre société, Total, a renoncé officiellement à toute exploitation, même vague, des gaz de schistes sur le territoire ; tout comme pour le chapitre « liberté d’expression », « respect de la propriété », la réflexion sur le sujet est stoppée. Notez qu’on aurait pu dire « stérilisée » voire « interdite », sans modifier effectivement le résultat obtenu : essayer d’exploiter les gaz de schiste, ce ne serait vraiment pas bisou-compatible. Trop de méchants risques et le risque est officiellement interdit dans la Constitution des Français Républicains Qui Sont Tous Super-Égaux.
En plus, l’odieuse boîte capitaliste n’arrête pas de fournir de juteuses taxes à l’Etat au lieu de faire de jolies pertes, comme toute entreprise un peu patriote se devrait de faire, et, pour enfoncer les clous dans le cercueil, De Margerie a déclaré :
On ne peut pas, en 2011, vouloir à la fois se passer de gaz non conventionnel, du nucléaire, de charbon voire de pétrole, et se plaindre de l’augmentation des prix de l’énergie.
Soyons franc : ceci est, pour le citoyen conscientisé, républicain et festif aux heures indiquées, un véritable affront puisque, ne nous leurrons pas, c’est bien une sorte d’ultimatum qu’on peut lire ici dans la bouche de cet odieux capitaliste. Il nous dit, en effet, que si l’état ne cède pas à ses revendications, il fera péter non pas les couches de schistes, mais les tarifs de son essence ! C’est limpide : ce type ne veut pas partager ses bisous républicains : tout le monde sait qu’il existe forcément un moyen pour disposer à la fois d’une énergie pas chère, peu taxée, qui ne subventionne pas l’une ou l’autre dictature étrangère, qui soit à la fois écologique et sympa pour les ours polaires, mais que ce libéral à mocassins fait exprès de n’en faire qu’à sa tête.
Pourquoi est-il aussi méchant ? Pourquoi prétend-il que l’éolien risque d’être éternellement subventionné alors que tout le monde sait, si si, c’est sûr de chez sûr, que cela fait trente ans que c’est une technologie d’avenir de dans moins de dix ans et que ça va dépoter sévère ?
Heureusement, moi, je vous dis, que tout ce petit monde se met, lentement mais sûrement, au pas cadencé, que les bécots citoyens et les gros patins humides de la République pleuvent pour remettre tous ces vilains dans le droit chemin. Tenez, d’ailleurs, des signes clairs, venus de l’étranger, nous indiquent que nous tenons le bon bout : la France conserve son triple A, note maximale, sur sa dette souveraine car
Si le bilan financier de l’Etat français s’est détérioré, le rythme et l’ampleur de la détérioration ne sont pas suffisants pour faire de la France un cas particulier parmi les pays Aaa
Vous voyez ? On a encore plein de marge ! Le bisou républicain peut encore progresser ! On peut arrondir plus d’angles, on peut raboter plus d’inégalités ! On peut bouter plus de riches hors de nos frontières ! On peut faire taire plus de nauséabonds ! On peut écraser plus de dissidents ! On peut éradiquer plus d’individus nuisibles ! On peut enfin tendre vers une solution, finale et définitive !
Allez. Bisous. Tous ensemble, on peut y arriver.