On se souvient de la dernière polémique, touchant au domaine “artistique”, autour de deux photographies sous plexiglas, d'un artiste américain, dont une, intitulée “Piss Christ“, représentant un crucifix immergé dans de l'urine. L'image diffuse une lumière orangée, auréolant un crucifix grandeur nature, que l'on pourrait qualifier d'esthétique et d'intéressante, selon l'intérêt porté à l'exposition. Tant que l'on ignore toutefois la nature du contenu. Ces deux images ont donc été détruites à coups de marteau, par des “amateurs” du genre, à la collection d'art contemporain d'Avignon, Yvon Lambert, il y a quinze jours. Les réactions d'indignation ont été nombreuses. Le journal “Libération” présente ainsi l'oeuvre visée, dans un style enamouré de catalogue d'art, un peu “bo-bo“ : ” Si “Piss Christ” revendique un titre provoquant, l'oeuvre en elle-même n'a rien de “trash”, c'est une très belle photographie or et rouge, en sybachrome d'1,80 m sur 80, fondue dans un plexiglas“. Mais outre la polémique plus ou moins intéressante en soit, cela ramène à la problématique d'un certain art contemporain, en général. Et aussi bien-sûr à la provocation artistique, à l'égard de la religion.
Comme a pu le souligner, l'historienne d'art et conservatrice au musée du Louvre, Christine Sourgins “l'art contemporain cherche non par la beauté mais le scandale” et “Piss Christ” en est emblématique, sur ce point. L'artiste lui-même a toujours dit n'avoir aucune sympathie pour le blasphème. Cependant pourquoi cet éternel goût du scandale ? Pour de nombreux “artistes contemporains“, l'objectif recherché n'est plus que de créer un “évènement, à tout prix“. Jusque dans le choix du lieu, de la date d'une exposition, en pleine période de carême et à Avignon, ville des papes ! C'est là une stratégie communicative et publicitaire bien rodée, visant à engranger les retombées médiatiques, et faisant monter les côtes artistiques. Un vaste “mainstream”, comme on dit aujourd'hui, visant à récupérer l'indignation artificielle d'un public saturé. A l'exemple de l'oeuvre de Cattelan (1999), “La Nona ora”, montrant Jean-Paul II écrasé par une météorite et qui déclencha colère, critiques et controverses, lorsqu'elle fut exposée en Pologne, pays d'Europe centrale au catholicisme chevillé au corps. Et comme le rappelait Christine Sourgins judicieusement, l'oeuvre trouva son public, en partant à des sommes inconsidérées en salle des ventes. Aux yeux du journal “Libération”, les agresseurs d'Avigon étaient des vandales, des illuminés. L'hebdomadaire “Le Monde” ”en profita pour dénoncer les catholiques intégristes et l'influence jugée néfaste de l'archevêque d'Avignon. Mais comme l'a analysé Eric Zemmour, imaginons aussi “un instant, d'autres oeuvres qui montreraient une Torah dans un bain de sang (…), un Mahomet déféquant, le Moïse de Michel-Ange plongé dans ses excréments“. Et imaginons ensuite les réactions de ces journaux “Un incroyable sacrilège“, “Le grand retour de l'antisémitisme“, “L'islamophobie, nouveau mal français“. Et imaginons ensuite les réactions des militants du CRIF s'indignant “ou des musulmans manifestant aux quatre coins de la planète, contre le grand satan, une fatwa lancée de Téhéran ou du Caire contre l'odieux blasphémateur”.
Et bien-sûr, la gêne des journalistes dans la presse écrite, “pris entre la défense de la liberté de l'art et la légitime réaction de minorités outragées“. Le conservateur de l'exposition d'Avignon, Yvon Lambert, est avant tout “un homme de l'art financier, donc il est innocent des blessures infligées aux âmes car celles-ci ne sont pas quantifiable en monnaie sonnante et trébuchante : le dol n'existe pas“, comme l'analysait Christine Sourgins. Et ne lui dites surtout pas qu'il faisait de la provocation, “montrer cette photo à Avignon, en temps de carême, relève juste d'une bonne stratégie de com'“. Le Temple, “le seul, le vrai, c'est le Marché“. Les réactions officielles viennent aussi s'inscrire dans ce courant. Le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, ayant condamné en réponse à l'incident, une “atteinte à un principe fondamental, la présentation de ces oeuvres relevant pleinement de la liberté de création et d'expression qui s'inscrit dans le cadre de la loi“. Tout en reconnaissant que “l'une des deux oeuvres pouvait choquer certains publics“. Même s'il était évident que l'exposition atteindrait la sensibilité, et l'objectif attendu, fut largement atteint, “surtout avec le montage financier (…) derrière“, d'où la concession : “pouvait choquer“. A l'aune d'une exposition contemporaine controversée, dans l'église Saint-Sulpice (6e arr), le débat sur l'art contemporain dans les églises avait été également soulevé. Ce fut l'objet d'un article, toujours de Christine Sourgins, à savoir une des rares à se focaliser sur le sujet, intitulé “A qui profite l'Art contemporain dans les églises ?“ Ce terme d'art contemporain qui prétend recouvrir la totalité, comme le dénonçait Marc Fumoroli, “loin de désigner une époque“, signalant un genre, “bien distinct de l'Art moderne ou l'Art abstrait, prisés par les pères Regamey et Couturier“.
Pour en revenir à cette exposition d'Avignon, les catholiques peuvent légitimement s'insurger, fulminer contre le deux poids / deux mesures. Même s'ils ne doivent pas nécessairement se réjouir, que certains se refusent de tendre l'autre joue. Et la destruction à coups de marteau par quelques-uns, des deux oeuvres en plexiglas, n'a pas empêché le musée de réouvrir ses portes le lendemain, exposant le vandalisme tel quel, l'oeuvre en étant christifée. “Ensuite acceptez la parodie, la caricature et même le blasphême, est la preuve d'ailleurs d'une grande maturité spirituelle“, comme l'analysait Eric Zemmour. “Depuis la religieuse de Diderot, le monde chrétien a fait du chemin“. La religion majoritaire en Europe s'étant habituée à vivre sous les quolibets, voire l'hostilité. En soit, l'anticléricalisme du petit père Combes ne choque plus personne et encore moins l'Eglise. “Cet anti-cléricalisme serait même plutôt devenu l'idéologie dominante dans les médias, on ne compte plus les campagnes contre le Pape“. Mais il est vrai, “les autres religions refusent avec véhémence de verser dans la placidité catholique à l'égard de l'outrage et du blasphême”. Le judaïsme et l'Islam interdisent les représentations de Dieu. Les catholiques ont entretenu avec l'image, un long compagnonage artistique et sensuel, depuis la Renaissance italienne. Mais certains catholiques pratiquants, singent désormais certains comportements intolérants, par le biais associatif.
L'évènement reste anecdotique. C'est sans doute une conséquence ultime de la déchristianisation en France, du climat mondial aussi. Car la religion chrétienne est aujourd'hui la plus outragée, des chrétiens étant persécutés et assassinés, au Moyen-Orient - Egypte, Irak -, ou ailleurs, ceci expliquant sans doute cela. Et en tout cas, il est certain qu'il est plus commode de dénoncer, on ne sait quelles influences supposées, plutôt que de fustiger la médiocrité d'une oeuvre…
J. D.