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Le débat sur la prostitution

Publié le 05 mai 2011 par Alex75

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C'est la dernière polémique récente, en matière de moeurs. Pour lutter contre la prostitution, le gouvernement envisagerait de punir les clients des prostituées. Roselyne Bachelot, la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, y est d’ailleurs favorable. Roselyne Bachelot souligne qu’il n’y a pas de prostitution libre, choisie et consentante. Elle nous somme d’imiter la Scandinavie, sur le sujet, en particulier l'exemple suédois. Et en tout cas, la commission rendra ses conclusions à la mi-avril. Mais il faut dire que ce débat réouvert est complexe et quasi-philosophique. Ce qui mériterait notamment de revenir sur l'histoire de la prostitution, en France, mais aussi de s'intéresser aux exemples étrangers, en la matière.

Le regretté Philippe Muray avait été, une fois encore, prophétique. “Dans notre société“, disait-il, “l’envie de pénal a tout remplacé“, concept stigmatisant la volonté farouche de créer des lois pour “combler le vide juridique“, supprimant toute forme de liberté et de responsabilité. Envie de pénal que l'on retrouve aussi dans la judiciarisation de la vie quotidienne. Mais une leçon du modèle suédois, c’est que la prostitution a disparu de la rue, mais pas de la société pour autant. Elle est devenue plus dissimulée. Longtemps, la prostitution fut un rite d’initiation viril. De nombreux jeunes célibataires eurent leur première expérience, au service militaire, voire à une escale comme Jacques Chirac… Sans oublier l'existence, jusque durant la guerre d'Algérie, reconnue, réglementée et encadrée, des fameux bordels militaires de campagne. La prostitution qui n'est peut-être pas le vieux métier du monde, mais dont l'on a trouvé la trace, jusque sous l'antiquité. Les ruines d'un lupanar à Pompéi témoignent de l'exercice de la prostitution sous la Rome antique. La civilisation judéo-chrétienne a connu la condamnation prohibitionniste. Cette activité a connu dans l'histoire, une alternance de périodes prohibitionniste et de permissivité. Au XVIe siècle, suite aux ravages de la syphilis, l'opprobre sur la sexualité hors des liens du mariage réapparait fortement, en Europe. Mais pendant la régence de Philippe d'Orléans et durant le règne de Louis XV, les maisons closes connaissent un éclat particulier. A la veille de la Révolution française, on évalue à 30 000 les simples prostituées de Paris et à 10 000 les prostituées de luxe ! Le Palais-Royal pendant la Révolution offrira le spectacle d'une déambulation permanente, tout au plus canaille où l'amour règne, sinon la simple coquetterie. Mais l'âge d'or de la prostitution encadrée se situe sous la IIIe République.

C'est l'époque des “maisons de tolérance“, inventoriées et répertoriées dans le fameux ”Guide rose“. Le XIXe siècle voit l'émergeance d'une certaine tolérance étatique et d'un encadrement juridique et sanitaire. Les préfets délivrent des “certificats de tolérance” aux tenancières de ces maisons, les fameuses mères maquerelles. L'Etat, et notamment le fisc profitait aussi de ce commerce, en prélevant 50 à 60 % sur les bénéfices. Les revenus des prostituées sont toujours assujettis à l'impôt, ce qui fait parfois qualifier l'Etat de “premier proxénète de France“. Ces maisons, signalées par un numéro ou un éclairage rappelant la lanterne rouge médiévale, sont souvent des immeubles dédiés aux fenêtres à verre dépoli. Leur présence et leur existence étaient d'ailleurs inscrites dans les moeurs de l'époque. Il y a une très belle littérature d'ailleurs, sur le sujet. A l'image de Gustave Flaubert avec son “Education sentimentale” ou “Madame Bovary“, J. K. Huysmans avec “Marthe“, Guy de Maupassant dans “La maison Tellier“. Les peintres ne sont pas en reste, à l'image de Toulouse-Lautrec - “Femme tirant sur son bas” ou “Le Divan” ; Van Gogh - “Le Lupanar d'Arles“. Comme le soulignait Eric Zemmour, Flaubert allait jusqu’au Caire, pour découvrir les prostituées égyptiennes. Stendhal conseillait d’aller voir “une fille de rien“, disait-il, avant de rendre visite à la femme aimée. “Maupassant et Victor Hugo mélangeait allégrement conquêtes et filles vénales“. Certains établissements sont aussi passés à la postérité, tels La Fleur blanche située 6, rue des Moulins, à Paris (1er arr), qui était fréquentée notamment par Toulouse-Lautrec.  D'autres établissements étaient célèbres, tels l'Alys, situé 15, rue Saint-Sulpice (6e arr) ou le 11, rue de l'Arcade (8e arr), détenue en partie par Marcel Proust, ou encore le 2, rue de Londres (9e arr), où Amélie Elie, qui a inspiré le film “Casque d'or“, a fini sa carrière.

Le débat sur la prostitution

Chaque maison avait son règlement intérieur. L'aspect sanitaire était pris en compte - peur des maladies vénériennes -, comme le précise l'article 29 du “Règlement des maisons closes” : “Toute fille reconnue malade y sera immédiatement séquestrée pour être conduite à l'hospice le plus tôt possible afin d'être soumise aux traitements qu'exigera sa maladie“. Certes, tout n'était pas romantique dans le fonctionnement des anciennes maisons. Des placeurs - ou placeuses - peu scrupuleux, parcouraient parfois les petites pensions de province et les hôpitaux - notamment le service des maladies vénériennes - et charmaient des femmes en leur promettant une bonne place et de l'argent. Les femmes étaient ainsi placées dans des pensions parisiennes ou de grandes villes - Rouen, Bordeaux, Reims, etc. D'autres femmes y entraient par besoin - notamment les filles mères -, ou parce que ne sachant rien faire d'autre. Les filles mères connaissent une double peine car elles étaient aussi le plus souvent rejetées de la société. A partir de 1939, une nouvelle sorte de maisons fit son apparition, tel le “One-two-two” - située 122, rue de Provence, dans le 8e -, cabaret bordel, où de grands noms se croisent, tels que Colette, Jean Gabin, Sacha Guitry et d'autres. “Le Sphinx” fait son apparition,  au 31, boulevard Edgard-Quinet (14e arr). Cette maison est même protégée par le ministre de l'intérieur de l'époque Albert Sarraut. En 1941, pendant l'Occupation, “L'Etoile de Kleber” ouvre ses portes. Ce cabaret-bordel est un des lieux favoris de la Gestapo et des officiers supérieurs de la Wehrmacht. Avec la loi “Marthe Richard” de 1946, les maisons closes furent fermées le 13 avril 1946.

Marthe Richard (1889 - 1982), née Betenfel, femme au parcours étonnant, qui fut prostituée, aviatrice et femme politique française. Elle travaille dans un célèbre établissement parisien, où elle rencontre, un soir de septembre 1907, Henri Richer, mandataire aux Halles. Le riche industriel a le coup de foudre et l'épouse le 13 avril 1915. Elle fait table rase de son passé et devient une respectable bourgeoise de la Belle Epoque dans son hôtel particulier de l'Odéon. Elle demande à être rayée du fichier national de la prostitution, ce qui lui est refusé. Elle fut espionne durant la Grande guerre. En 1945, héroïne des deux guerres, elle est élue conseillère dans le 4e arrondissement de Paris sur la liste de la Résistance Unifiée (proche du MRP). Elle dépose le 13 décembre 1945 devant le conseil municipal un projet pour la fermeture des maisons closes. Sa proposition est votée et le préfet Charles Luizet décide de fermer les maisons du département de la Seine dans les trois mois. Encouragée, Marthe Richard entame une campagne une campagne de presse, et le 9 avril 1946, le député Marcel Roclore présente le rapport de la Commission de la famille, de la population et de la santé publique, et conclut à la nécessité de la fermeture. Votée le 13 avril 1946, le fichier national de la prostitution est détruit et environ 1400 établissements sont fermés, dont 180 à Paris. Beaucoup de tenanciers de maisons closes se reconvertirent en propriétaires d'hôtels de passe. La prostitution est alors une activité libre ; seules sont interdites son organisation et son exploitation - le proxénétisme - et ses manifestations visibles. Ceci valut à Marthe Richard le pseudonyme humoristique de “Veuve qui clôt“, en référance à la maison de Champagne.

Pour faire face aux diverses entraves à l'exercice de leur profession, en 1975, le premier mouvement de prostituées voit le jour, avec l'occupation de la chapelle Saint-Bernard-de-Montparnasse à Paris, ou en province, par exemple celle de l'église Saint-Nizier à Lyon. Grisélidis Réal fait partie des dirigeantes de ce mouvement, revendiquant un statut pour les prostituées, la sécurité sociale, la fin de la répression policière, mais certes s'opposant à la réouverture des maisons. Au niveau de la législation, les dernières évolutions remontent au début des années 2000, durant une période d'explosion de la prostitution d'origine étrangère, dans certaines grandes villes. La loi pour la sécurité intérieure dite loi Sarkozy, promulguée le 19 mars 2003 et visant le racolage passif, provoque l'apparition d'un second mouvement de prostituées en 2002. Depuis 2006, a lieu chaque année à Paris, une marche de fierté des travailleuses du sexe. En novembre 2007, des prostitué(e)s poursuivent leur contestation de la répression du racolage en se rassemblant devant le Sénat et interpellent les parlementaires. Le racolage dans la rue étant de plus en plus réprimé et réputé dangereux, certaines prostituées préfèrent, nouer des contacts sur Internet. Par ailleurs, en dépit des lois répressives adoptées, ces dernières années, le nombre de prostitué(e)s est évalué à une population située entre 10 à 12 000 personnes, en 2011, soit autant qu'en 2002, auxquelles il convient d'ajouter quelque 3000 professionnelles qui exercent dans les bars à hôtesse ou salons de massage. A Paris, la population est estimée à 6 ou 7000 personnes, auquel s'ajoute 2 à 3000 occassionnelles. Aujourd'hui, en Europe, certaines juridictions interdisent les activités typiquement associées à la prostitution (racolage, proxénétisme, etc.). Dans d'autres cas, la prostitution est “légale”, par un vide juridique la concernant ou autorisée par la loi, encadrée et réglementée.  Certains pays européens ont choisi de la bannir, mais il apparaît sans succès réels, amenant objectivement à la clandestinité, sans contrôle coercitif. Et en Suisse ou en Allemagne, on a par contre opté, pour le choix de l'encadrement et de la réglementation. Depuis 1992, des établissements à l'existence légale existent en Suisse. Ils sont pour une bonne partie implantés dans des appartements. Leur taille, les métodes de fonctionnement sont variées. Des cantons ont édicté des règlements spécifiques concernant ces établissements. Dans certains, les prestataires doivent être enregistrées auprès de la police. Ces établissements ont d'ailleurs pignon sur rue et la publicité pour ceux-ci est acceptée auprès des médias classiques (presse, radio, etc).

Il est vrai, les problématiques inhérentes à cette activité sont complexes et nombreuses. Les prostituées peuvent être victimes d'une forme d'esclavage. Elles sont également concernées par les maladies sexuellement transmissibles et les convoitises que provoquent leurs revenus. En France, la pauvreté estudiantine conduirait des jeunes femmes et à moins grande échelle, des jeunes gens à financer leurs études ainsi. Cependant, il est avéré dans l'histoire de la prostitution, que les mesures abolitionnistes ont toujours rencontré une certaine inefficacité. Et le discours consistant à dire qu'il faut la réduire, relèverait malheureusement plutôt de l'hypocrisie. Il faudrait plutôt lutter férocement contre le proxénétisme, mais en respectant ces femmes et ces hommes, qui décident de donner leurs corps ou leur affection, comme d'autres donnent leur esprit. Il ne faut pas les mépriser. On pourrait surveiller cela. Il est vrai, qu'il y a des hommes et des femmes qui ont besoin de cela. Il y a aussi des gens qui ont choisi de vivre cette vie, sans vie de famille, sans aucune contrainte, de donner leur corps ou leur affection, d'en faire offrande et d'apporter un réconfort. Sans bien-sûr l'idéaliser, la glorifier, ni même l'encourager, la prostitution a toujours existé et n'a jamais disparu à proprement parler. C'est un sujet très sérieux. Il ne faut pas se voiler la face et jouer à “Tartuffette, cachez-moi ce sein, que je ne saurai voir“, dixit Eric Zemmour… Et à cet effet - du moins, tel est mon point de vue -, il conviendrait plutôt d'encadrer juridiquement la prostitution, de l'organiser habilement, correctement, intelligemment, “joliement”…

   J. D.


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