J'ai aimé ce livre et son personnage central et solaire.
C'est un grand roman qui nous emporte, une fresque historique et familiale à nous perdre tant il est dense, fort de ses 600 pages qui nous font traverser le 20eme siècle en Sicile, par la voix d'une narratrice/héroïne qu'on n'oubliera pas de si tôt.
Modesta naît en 1900, dans une misère crasse, sans père et oubliée par une mère qui se tait ou qui hurle, mais qui ne parle pas. Elle n'a de vie que pour soutenir celle de son autre fille, malade mentale.
Modesta souffrira, sera violée par un homme qui se fait passer pour son père, et commettra un acte terrible : elle brûlera la maison où périront sa mère et sa sœur.Recueillie dans un couvent, elle continuera de souffrir mais découvrira la lecture et le désir de savoir. Dès lors, elle n'aura de cesse de s'instruire pour s'émanciper et pour enfin vivre.
Modesta la mal nommée veut que vivre ne soit pas un vain mot. Elle désire donner à ce verbe une signification qui lui convienne et dans laquelle elle se retrouve intellectuellement et émotionnellement. Voilà ce qui semble être le moteur puissant de cette destinée hors du commun qui nous est proposée dans ce roman.
L'héroïne cherche et trouve les moyens de déjouer les obstacles qui ne cessent de se précipiter devant elle. Elle est dotée d'une force exceptionnelle, et sa potion magique à l'air d'être un désir puissant de vie, une pulsion plus forte que tout qu'elle alimente et renforce au fil du temps par ce qui est nommé dans le titre," l'art de la joie". "La joie, passion par laquelle l'âme passe à une perfection plus grande "dit Spinoza (Ethique, III, 11, sc.).
Sa vie est un miracle rêvé par la romancière qui le tisse.
Modesta est l'incarnation idéalisée d'une émancipation continue et jamais tout à fait gagnée. Cette jeune femme, sortira du couvent, et rusée, fera sa place de choix au sein d'une famille aristocratique. N'abandonnant jamais son goût pour l'étude et pour la lecture, elle deviendra princesse, et règnera sur son domaine en appliquant l'éthique qu'elle s'est forgée durant toute une vie.
Nous assistons donc ravis à la réalisation d'un conte de fée d'un nouveau genre, d'une histoire "romanesque", du nom sous lequel certaines bibliothèques cataloguent les "romans roses". Mais ne nous y trompons pas, c'est une œuvre de fiction d'une force extraordinaire, comme celle incroyable de son héroïne increvable! Et ça fait du bien!
Tout d'un coup, tous les déterminismes pesants tombent les uns après les autres pour faire une place libre à la construction d'une femme belle, intelligente et accomplie, qui lutte contre les préjugés de tous ordres.
Elle est intéressante cette Héroïne parce qu'elle mène une vie pleine de paradoxes assumés sans culpabilité.
L'auteur nous conte l'histoire d'une femme libre à force de ténacité, de courage et de volonté, pour gagner toujours un peu plus d'émancipation.
Elle tue sa famille, s'échappe du couvent, accepte une position de domestique pour s'assurer une possibilité d'ascension sociale, finit par se libérer du travail et par prendre le pouvoir et le titre du domaine par un mariage arrangé dont elle saura se servir pour arriver à ses fins.
Devenue aristocrate, elle sera socialiste anarchiste, combattante du fascisme, sans oublier d'être mère de plusieurs enfants qu'elle fait ou qu'elle adopte, amante, lectrice, poète, nageuse, et que sais je encore dans ce tourbillon de "folie de vie contre folie de mort". Modesta ne cesse d'avancer jusqu’à l'âge d'être grand mère en étant toujours aussi concentrée sur sa quête...
C'est un beau livre à lire pour son énergie et sa liberté de fond et de forme.
"Le mal réside dans les mots que la tradition a voulus absolus, dans les significations dénaturées que les mots continuent à revêtir. Le mot amour mentait, exactement comme le mot mort. Beaucoup de mots mentaient, ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie les plantes, les animaux. Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations de siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m'en servir ceux que l'usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation."
"J'appris à lire les livres d'une autre façon. Au fur et à mesure que je rencontrais certains mots, certains adjectifs, je les sortais de leur contexte et les analysais pour voir s'ils pouvaient être employés dans "mon" contexte. Dans cette première tentative d'identifier le mensonge caché derrière des mots qui avaient, y compris sur moi, un pouvoir de suggestion, je m'aperçus de combien d'entre eux et donc de combien de fausses idées j'avais été victime. Et ma haine grandit jour après jour : la haine de se découvrir trompé. "
"Quand Modesta ne savait pas nager, la distance entre elle et ce regard la faisait trembler d'espérance et de peur. Maintenant seule une paix profonde envahit son corps mûr à chaque émotion de la peau, des veines, des jointures. Corps maître de lui-même, rendu savant par l'intelligence de la chair. Intelligence profonde de la matière... du toucher, du regard, du palais. Renversée sur le rocher, Modesta observe comme ses sens mûris peuvent contenir, sans fragiles peurs d'enfance, tout l'azur, le vent, l'espace. Etonnée, elle découvre la signification du savoir que son corps a su conquérir dans ce long, ce bref trajet de ses cinquante ans. C'est comme une seconde jeunesse avec en plus la conscience précise d'être jeune, la conscience des manières de jouir, de toucher, regarder. Cinquante ans, âge d'or des découvertes, cinquante ans, âge heureux injustement calomnié par l'état civil et les poètes".
"Non, on ne peut communiquer à personne cette plénitude de joie que donne l'excitation vitale de défier le temps à deux, d'être partenaires dans l'art de le dilater, en le vivant le plus intensément possible avant que ne sonne l'heure de la dernière aventure. Et si cet homme - mon vieux petit ami - s'étend sur moi avec son beau corps lourd et léger, et me prend comme il le fait maintenant, ou me baise entre les jambes comme Tuzzu le faisait autrefois, je me retrouve à penser bizarrement que la mort ne sera peut-être qu'un orgasme aussi comblant que celui-là".
De belles critiques enthousiastes sur biblioblog,Papillon n'a pas du tout aimé le livre ni l'héroïne,une très belle critique que je partage totalement de Angèle Paoli sur Terres de femmes,
Ce roman est tombé des mains de Laure, dans les jardins d'hélène,So n'a pas du tout aimé non plus, tout comme son libraire, sur : la conjuration des livres,un très joli post de Ko qui a vraiment aimé sur, l'iKonoclaste,Valclair a également beaucoup aimé le personnage,nectar-safran est littéralement tombé amoureuse de modesta, sur clochettes,Florence est désolée de devoir quitter modesta en refermant le livre, sur Le Flog,