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Dans le palais des livres

Par Placebo
Dans le palais des livres
Roger GRENIER, Le palais des livres, Gallimard, Paris, janvier 2011 (164 pages).
Il nous arrive tous de connaître une fin du monde. La fin d'un monde, car il faut mesure garder. Ayant du temps devant moi avant d'aller rejoindre un ami pour dîner, je dirigeai mes pas vers ma librairie, Le Port de Tête, où m'attendaient quelques livres, dont celui, au beau titre, de Roger GRENIER. Quelle joie d'échapper à la rumeur de la rue pour écouter le silence des auteurs qui cherchent à nous séduire. Des clients discuter avec les deux libraires, des « Connaissez-vous un tel ? », des « oui, mais ne la trouvez-vous pas un peu... ? » et des « Je suis incapable de lire ces choses à la typographie bâclée, que font les éditeurs... ? ». Moi, j'ouvrais les couvertures, me mêlant sans mot dire à ces conversations, opinant du chef, me permettant in petto une réplique bien sentie. J'étais bien, dans le soleil las du début de la soirée, laissant frissonner un avril finissant. Dans mon palais des livres.
La fin du monde s'est produite comme sur un coup de trompette d'apocalypse. Une voix du fond de la boutique « c'est deux à un ». Et mes deux libraires de s'attrouper à l'ordinateur : le match de hockey, celui, décisif, des éliminatoires. Plus grande n'aurait pu être ma stupeur au rideau du temple déchiré. Mes deux libraires, dont l'un très Français, zélotes du sport national. Tonnerre, foudroie-moi, qui ne connais rien à l'affaire sportive, que je tiens pour l'une des grandes impostures marchandes du siècle-- aliénation aurait-on écrit naguère --, me voici victime du préjugé voulant que l'intellectuel ne saurait frémir, même à distance, des plaisirs du cirque nordique : Want to buy some illusions ? me susurrait Dietrich à l'oreille. Ils me virent interdit, et à leurs affaires revenus, c'est à dire à Roger GRENIER, dont j'étais sur le point d'acquérir le petit recueil d'articles, commandé plusieurs semaines plus tôt, et qui venait, lentement, de franchir l'Atlantique. Et nous trois, et les quelques autre clients, de rire de mon effarement. Mes libraires partisans du Canadien, oui, la fin du monde était survenue, pour moi, le mercredi 27 avril; pour eux, un peu plus tard, le même soir, du fait de l'élimination de l'équipe. Apprenant la nouvelle, je ne pus m'empêcher de m'inquiéter, au téléphone, des effets de cette défaite : le magasin serait-il fermé en signe de deuil ?

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