Bernard Noël, dans le dossier que lui consacre la revue CCP (Cahier critique de poésie du centre international de poésie de Marseille), répond à une question de Jean Daive.
Jean Daive : Peut-être qu'un écrivain ne dit pas suffisamment qu'il ne comprend pas toujours ce qu'il écrit [...]
Bernard Noël : c'est un phénomène qui m'intrigue beaucoup, mais... dont je n'ai eu fortement conscience qu'en écrivant mes monologues. [...] J'ai le sentiment que, dès le départ, un trajet, une forme, un trajet et une forme définissent un espace à parcourir, et que, cet espace, je ne le connaîtrai jamais. Parce que l'ayant parcouru, à la fin, je n'en saurais pas plus sur la nécessité qu'a créée l'appelant qui me poussait à faire ce trajet ? L'appelant, c'est la première phrase et cette première phrase, pourquoi, tout à coup, m'apparaît-elle comme la bonne ? Je n'en sais trop rien. Mais je sais qu'à partir du moment où la première phrase... la bonne première phrase est posée, le trajet va se développer de manière autonome par rapport à ma volonté. Ma seule volonté est de m'obstiner à aller jusqu'au bout, mais je ne mesure ni la distance à parcourir, ni les accidents qui vont survenir... Ensuite, après coup, cette situation est assez difficile à expliquer parce que, une fois terminé, le récit aura l'air de s'être développé selon une logique, comme dire, normale, alors que ce n'est pas du tout le cas, et que justement ce qui m'intéresse c'est que, phrase après phrase, quelque chose se révèle, qui ne m'appartient pas, que je ne contrôle pas [...]
Bernard Noël, CCP n° 21, printemps 2011, p. 8